« Plutôt “gréver” que céder »

Six mille travailleurs sans papiers sont en grève depuis la mi-octobre. Le gouvernement restant sourd aux demandes de régularisation, des personnalités ont apporté leur soutien au mouvement. Reportage.

Léa Barbat  • 14 janvier 2010 abonné·es
« Plutôt “gréver” que céder »

Les travailleurs sans papiers ont mis un coup de projecteur sur leur situation. Le 6 janvier, le piquet de grève parisien situé dans l’étroite cour du Fonds d’assurance formation des salariés de l’artisanat et du BTP (dans le VIe arrondissement) a accueilli des personnalités venues partager une galette des rois « de la solidarité » sous l’œil des journalistes. Antoine de Caunes, Juliette Binoche, Josiane Balasko, Cali, Lilian Thuram ou encore Charles Berling ont fait le déplacement pour réaffirmer leur soutien aux 6 000 travailleurs (dont 2 000 intérimaires) en grève depuis le 12 octobre, selon les associations et syndicats.

« Nous portons une étiquette sur le dos qui s’appelle “sans-papiers”. Nous voulons enlever de notre vie la fraude, nous voulons être honnêtes, parce que nous travaillons ! » , a rappelé Grâce, femme de ménage en situation irrégulière, qui s’est retrouvée assise entre les vedettes. « On bosse ici, on vit ici, on reste ici ! Régularisation de tous les travailleurs, de toutes les travailleuses sans papiers ! », enchaîne-t-elle, reprise en chœur par les centaines de grévistes, les bénévoles et les syndicalistes. «  Je voudrais aussi dire à Éric Besson que c’est parce qu’il y a des immigrés qu’il est ministre de l’Immigration » , ajoute la jeune femme. Ironie du sort, le lendemain de cette galette de la solidarité, le même ministre s’est félicité de l’expulsion de 29 000 sans-papiers en 2009, quand son « quota » était fixé à 27 000.

Ces expulsions sont pour l’instant la seule action concrète du gouvernement depuis le début du mouvement. Les sourires des personnalités et des travailleurs cachent en effet une dure réalité. Onze associations et syndicats réclament toujours une circulaire qui régulariserait la situation des grévistes. Leur lettre ouverte au Premier mi­nistre, envoyée le 1er octobre 2009, est restée sans réponse. « Le gouvernement laisse pourrir la situation. À part sur Internet, les médias ne parlent pas beaucoup de notre lutte. La rencontre entre les célébrités et les sans-papiers est donc indispensable. Car on arrive à un moment où il faut mettre en place des opérations coup-de-poing » , explique Anne, bénévole du Réseau éducation sans frontières (RESF).

Associations et syndicats ont dénoncé les « graves insuffisances » d’un texte qui exige cinq ans de présence sur le territoire et un an de feuilles de paie pour être régularisé. Cette circulaire du 24 novembre 2009 exclut les intérimaires mais aussi les travailleurs venant d’Algérie et de Tunisie.
« C’est un torchon. Le pire, c’est que les conditions changent d’une préfecture à l’autre », s’emporte Anne. Françoise, militante de la Ligue des droits de l’homme, tente tous les jours de faire signer par les patrons fraudeurs un formulaire de régularisation. « Certains patrons les signent, mais ils les datent. Il faut alors les renouveler tous les trois mois. Nous allons cependant en récolter un maximum pour les présenter au ministre du Travail », explique-t-elle.

Raymond Chauveau, secrétaire général de l’union locale CGT de Massy (Essonne), à l’origine du mouvement, s’indigne des « conditions de travail exécrables et des rémunérations misérables » des sans-papiers. L’un d’eux, Yaya, arrivé en 2005 avec un visa, clame : « Je n’ai pas triché ! » Le jeune homme travaille dans le bâtiment, a un compte bancaire, une carte bleue, des bulletins de paie, et acquitte des impôts. « On nous fait travailler 24 heures sur 24. Mon patron nous fait du chantage. Si on refuse de travailler plus, il nous vire. Quand les policiers arrivent, il nous fait vite sortir par une petite porte. Je suis en grève depuis le 12 octobre, et je vais continuer jusqu’au bout. »
Il s’arrête pour écouter Josiane Balasko, qui s’enflamme : « On est là pour dire : “Merde ! Faites quelque chose !” On aimerait nous faire croire que les sans-papiers mangent le pain des Français… Mais ils ­nettoient aussi leur merde. Sarkozy veut redonner un sens au mot fraternité ? Nous, on est là pour le faire. »
« La grève est dure » , soupirent plusieurs sans-papiers. Ils vivent exclusivement des dons faits par les associations mais restent déterminés et ne baissent pas les bras. Sur une petite affiche collée au mur, on peut lire : «  Plutôt “gréver” que céder ».

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