Tout le monde au trou !

Joseph Beauregard
livre dix témoignages radiophoniques qui rendent compte des violences et de l’absurdité de la garde à vue.

Jean-Claude Renard  • 14 janvier 2010 abonné·es

Deux ou trois exemples parmi d’autres. Adrien est journaliste stagiaire au Monde. En juillet 2009, il couvre à Montreuil une manifestation contre les violences policières. Il est collé contre un fourgon, menotté, trimbalé sans explications jusqu’au commissariat. Privé de ses effets personnels, ceinture comprise. Son jogging lui tombe au niveau des genoux. L’attente va durer toute la nuit dans une cellule. Une nuit à tourner en rond, dans l’inquiétude. Jusqu’à la première audition, durant laquelle Adrien est accusé de tirs de mortier. Il sera libéré comme il a été enfermé, sans explications.

Baptiste, lui, a été en garde à vue deux jours, en novembre 2008, à Levallois. Il a 17 ans alors, milite au DAL. Avec d’autres membres de l’association, il assiste à un conseil municipal, réclamant un rendez-vous avec le maire. Sur place, une commissaire de police fait embarquer les dix-huit militants. Baptiste connaît sa première garde à vue pour « résistance avec violence sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Menaces et intimidations suivent. Jean-François est un autre cas. Il rentre chez lui, à Versailles. Il est 19 heures. Il traverse la rue au petit bonhomme rouge. Il est alors interpellé par la police, puis regagne son domicile. À 22 heures, une patrouille sonne à sa porte, présente une convocation pour le lendemain matin à 9 heures. Il s’interroge ouvertement sur ces « méthodes totalitaires » . La réflexion passe mal. Il est aussitôt embarqué, menotté et placé en garde à vue. Enchaîné durant son interrogatoire.

Sur le même modèle qui l’avait conduit à relater la « première nuit en prison », Joseph Beauregard a recueilli une dizaine de témoignages qui racontent ce moment bref et long à la fois de la garde à vue.
Des témoignages parfois kafkaïens, qui donnent à entendre la douloureuse expérience de citoyens ordinaires ou de militants engagés qui n’ont rien oublié de la violence physique ou symbolique, des humiliations, des vexations de ce « collé au trou ». Des « trous » que le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, estime être « les lieux les plus médiocres des locaux administratifs les plus médiocres ».

Ici, se succèdent encore un cégétiste, déshabillé, fouillé, contraint à se baisser et à tousser, un jeune homme trinquant amoureusement avec sa copine sur un quai de Seine, arrêté manu militari, une fille qui sort d’une soirée slam, attend le bus de nuit, embarquée dans un panier à salade pour un prétendu outrage, une jeune automobiliste qui fume tranquillement une cigarette dans sa voiture… Le tout-venant du quotidien virant au cauchemar sur la seule décision d’un officier de police.

En 2001, ont été recensées 336 000 gardes à vue. Ce chiffre a augmenté de 70 % pour atteindre 577 816 en 2008. Au cours des douze derniers mois, c’est une personne sur 100 qui a été ainsi placée sous ce régime de contrainte. En somme, cette mesure qui devrait être une privation de liberté strictement exceptionnelle est devenue tristement banale. De fait, un sentiment s’est installé, et à juste titre, dans la population, que la garde à vue n’arrive pas qu’aux délinquants, aux criminels.

Voilà plusieurs mois, à l’instar du bâtonnier de Paris, l’association « Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat » et le Syndicat de la magistrature ont réclamé une réforme de « la garde à vue à la française », en s’appuyant sur plusieurs décisions récentes de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). En jeu, la présence d’un avocat, commis d’office ou pas, dès la première heure (ou les premières heures) de garde à vue. Ce serait, tout simplement, un alignement sur ce qui se passe en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en Espagne ou en Suisse. En novembre dernier, François Fillon jugeait même « nécessaire, évident, de repenser ses conditions et son utilité ». En dé­cembre, un juge de la détention et des libertés a fait application de la jurisprudence de la CEDH en annulant une garde à vue pour défaut d’assistance d’un avocat dès le premier interrogatoire. Cette annulation a d’emblée déclenché une violente polémique avec les syndicats de police (Synergie en tête). Aujourd’hui, le projet de réforme de procédure pénale vise à limiter enfin les gardes à vue aux infractions passibles d’une peine d’emprisonnement. À titre d’exemple, en Allemagne, la garde à vue est réservée aux seules infractions passibles d’au moins six mois de prison. Cinq ans au minimum en Espagne.
La France est donc loin du compte et, surtout, ouverte à tous les abus, comme en témoigne cette série documentaire radiophonique de Joseph Beauregard, où dominent systématiquement, dans un no man’s land où tout est possible, l’arbitraire, l’agressivité, les prétextes toujours fallacieux, les accusations grossières pour maintenir une politique du ­chiffre encouragée par l’Intérieur, au détriment des libertés individuelles et de la dignité des personnes.

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