Un crime organisé

José Bourgarel retrace une histoire de l’amiante, soulignant le poids
du lobby industriel et l’incurie politique face à ce drame sanitaire.

Jean-Claude Renard  • 21 janvier 2010 abonné·es
Un crime organisé
© 100 000 cercueils, le scandale de l’amiante, jeudi 28 janvier, vers 22 h 15, France 2 (1 h 15).

Le tableau s’ouvre sur les symptômes. L’épouse d’un défunt se rappelle : « Il s’est mis à respirer moins vite.  » La bave à la bouche. « Ils nous ont bien eus, et bien empoisonné » , renchérit José Duval, une autre victime de l’amiante, bombonne d’oxygène à ses pieds. Chaque jour, en France, dix personnes meurent parce qu’elles ont respiré de l’amiante ; 100 000 personnes, d’ici à quinze ans, seront décédées. Le commentaire assène : cela concerne tout le monde. Avant de revenir aux sources du minéral, cet isolant parfait qui résiste à 800 degrés, utilisé déjà au néolithique, et dont l’essor se situe entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, calé dans le développement exponentiel de l’industrie (trains, bateaux, voitures puis avions). Le premier rapport d’un inspecteur du travail sur la nocivité de l’amiante tombe en 1906. « Aucune ventilation artificielle n’assurait l’évacuation directe des poussières. […] Une cinquantaine d’ouvriers et d’ouvrières moururent. » Rapport suivi d’aucun effet.

Le risque au travail et la maladie professionnelle ne choquent personne. Pourtant, dès 1918, aux États-Unis, les assureurs refusent de prendre en charge les ouvriers de l’amiante. En 1931, deux chercheurs mettent en avant le cancer de l’amiante (les fibres calcifiant les poumons). Les autorités britanniques sont les premières à prendre des mesures contre l’empoussièrement dans les usines. Suivront les États-Unis. La France, elle, n’a pas cette culture de la prévention. Pire : mépris et désinformation sont une constante. Tel est aussi le leitmotiv de ce documentaire de José Bourgarel (le réalisateur s’est déjà illustré par un autre exceptionnel travail d’enquête, la Question : Le Pen et la torture, diffusé en 2007).

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, « au lieu de supprimer un risque, on verse des primes d’insalubrité », observe Me Michel Ledoux, avocat des victimes de l’amiante. Dans les Trente Glorieuses, l’amiante ne connaît pas de répit. Le discours est celui du progrès et du miracle, emboîté sur la formule américaine désignant l’amiante : « magic mineral ».
D’hier à aujourd’hui (en attendant un procès peu probable), José Bourgarel puise dans l’histoire et croise les témoignages pour rendre compte d’une réalité : le poids des lobbies (la mise en place notamment d’un Comité permanent amiante par les industriels), l’incurie des pouvoirs publics, la complicité de la médecine, l’aveuglement des syndicats, l’absence d’organismes de contrôle indépendant. Un travail remarquable et salutaire.

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