Ikea, l’opacité en kit

Le conflit dans les magasins Ikea dévoile un modèle social mis à mal depuis de nombreuses années.

Thierry Brun  • 25 février 2010 abonné·es

On ne saura pas combien Ikea a engrangé de bénéfices, pas plus qu’on aura d’informations sur ses comptes et sur la part redistribuée aux salariés. La multinationale de l’ameublement contrôle tout, y compris sa bonne image sociale, pourtant écornée depuis plusieurs années, bien qu’elle multiplie les rapports « développement durable » et les codes de conduite. Elle se trouve aujourd’hui confrontée à un mouvement social inédit en France, qui s’est traduit par une grève touchant 23 magasins sur les 26.

Pour les syndicats, la dégradation sociale s’est accentuée ces dernières années dans les magasins français : « Nous avons perdu, au fils des ans, tous nos acquis sociaux. Ne reste plus que le treizième mois. Après huit ans comme hôtesse de caisse, je plafonne à 1 150 euros net par mois », explique une déléguée CGT d’Ikea France. Plus largement, la multinationale championne du low cost a été épinglée à plusieurs reprises sur les conditions de travail dangereuses et la violation de la liberté syndicale dans d’autres pays, entre autres en Turquie.

Ikea est un groupe particulièrement opaque, selon le mode organisationnel institué par son fondateur, Ingvar Kamprad. Non cotée en Bourse, la multinationale ne publie jamais ses bénéfices. Elle appartient officiellement à une fondation, Ingka, qui a son siège aux Pays-Bas, tout comme la holding Ingka Holding BV, ­présentée comme «  la société mère de toutes les sociétés du groupe Ikea » . Mais une enquête publiée en 2006 par deux dirigeants d’Oxfam Magasins du monde en Belgique et un journaliste [^2] a révélé un édifice financier autrement plus complexe.

La fondation Ingka Holding ne serait rien sans une autre entité, Inter Ikea System, qui détient la marque, installée aussi aux Pays-Bas mais « chapeauté par Inter Ikea », siégeant à Waterloo, en Belgique. Une « société sœur, Inter Ikea Holding, est enregistrée au Luxembourg. Celle-ci appartient à une compagnie éponyme aux Antilles néerlandaises, dirigée par une compagnie à Curaçao. Bien que les bénéficiaires restent cachés […], i l est presque certain qu’il s’agisse des membres de la famille Kamprad ».

Officiellement, le chiffre d’affaires du groupe s’élève à 21,5 milliards d’euros. En 2006, l’hebdomadaire britannique The Economist indiquait que la fondation caritative Stichting Ingka Foundation, propriétaire du groupe, affichait un bilan de 36 milliards de dollars, « soit un montant largement supérieur aux modestes 26,9 milliards de la fondation Bill Gates, avant le don de 30 milliards de dollars du milliardaire Warren Buffet » , ironisaient les auteurs de l’enquête. Le low cost tous azimuts peut rapporter gros.

[^2]: Ikea : un modèle à démonter, Olivier Bailly, Denis Lambert et Jean-Marc Caudron, éditions Luc Pire-Oxfam Magasins du monde, 2006.

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