La fin de l’âge d’or

Dans « les Naufragés du fol espoir », Ariane Mnouchkine met en scène une forme d’adieu tourbillonnant à l’utopie.

Gilles Costaz  • 25 février 2010 abonné·es

Le nouveau spectacle du théâtre du Soleil, les Naufragés du fol espoir, est souvent époustouflant. C’est un frénétique enchaînement de tableaux qui, empruntant la trame d’un roman oublié de Verne, conte la vie de la France et du monde à la date cruciale de 1914. Autour d’un héros baptisé Jean Salvatore, une longue course-poursuite part d’Autriche et des bords de Marne, fait quelques tours dans l’actualité d’alors, du côté de chez Jaurès, par exemple, traverse les océans, passe par l’empire britannique, montre la colonisation et les génocides des ethnies en Amérique latine. Le spectacle alterne ainsi événements historiques et épisodes romanesques. Vingt-neuf acteurs se démènent comme de beaux diables pour être une foule de personnages, passer d’un grand rôle à une silhouette, tirer les haubans, s’adapter à un plateau qui change à vue d’œil, devenir de grands personnages (Churchill, Darwin, la reine Victoria) et des êtres de pure imagination.

L’histoire est même triple : c’est celle du roman de Jules Verne, celle du monde au début du XXe siècle et celle d’un film qu’on est en train de tourner. Car l’autre point de départ de la pièce, qui lui donne son style, c’est la réalisation d’un film qu’un cinéaste effectue en suivant cette action. Tout est filmé par une caméra à manivelle, le metteur en scène et son équipe. Le jeu de miroirs renvoie aux classiques de l’époque et transpose chaque épisode dans une dimension imaginaire liée au cinéma muet. Car les acteurs se mettent à articuler sans parler, tandis que les sous-titres apparaissent sur un écran et que la musique de Jean-Jacques Lemêtre bat son plein.

Oui, c’est époustouflant pour l’œil du spectateur. Les comédiens, de Maurice Durozier à Julia Carneira da Cunha et Serge Nicolaï, sont d’une contagieuse générosité de jeu. La mise en scène d’Ariane Mnouchkine trouve le détail tout un impulsant une symphonie de mouvements. Pourtant, notre plaisir n’est pas complet. Le sens de ces quatre heures tourbillonnantes est trop clair ou trop obscur : c’est sans doute un adieu aux rêves égalitaires, au temps des utopies qui ne sont plus que de l’histoire ou un vieux film en noir et blanc. La fin de l’âge d’or, qui avait été la grande passion du Soleil. Les Naufragés du fol espoir expriment ce désenchantement dans une forme théâtrale – née de l’improvisation et enrichie (mais partiellement) par l’écriture d’Hélène Cixous – qui, après avoir donné de magnifiques spectacles, tourne un peu en rond, comme un manège.

Culture
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