« La Pivellina » de Covi et Frimmel

Dans « la Pivellina », une fillette trouve amour et protection auprès de gens du voyage. Un film où l’émotion ne sacrifie rien à la sensiblerie.

Christophe Kantcheff  • 18 février 2010 abonné·es
« La Pivellina » de Covi et Frimmel
© Photo : DR

Dans le no man’s land d’une cité HLM, une femme est à la recherche d’un dénommé Hercule. Elle est suivie de près par la caméra. La cinquantaine, habillée modestement, elle a le cheveu rouge explosif. Hercule n’apparaît toujours pas [^2], mais Patty – c’est le nom de la femme – croise sur son chemin une petite fille esseulée. Du coup, Patty n’appelle plus Hercule, mais attend la mère de l’enfant. En vain. Patty décide de l’emmener chez elle. Et voilà comment, d’un instant à l’autre, une enfant de 2 ans, qui prononce son prénom « Aia » – mais les adultes devinent qu’il s’agit d’ « Asia » –, survient dans la vie d’un couple de « gens du voyage », plus très jeune, dont les caravanes sont installées, le temps que passe l’hiver, dans un coin sans grâce de la banlieue de Rome.

La Pivellina est un film autarcique dans son élaboration. Autarcique parce que ses deux réalisateurs, Tizza Covi et Reiner Frimmel, occupent à peu près tous les postes techniques (image, son, montage…). Et que le film est produit par la société qu’ils ont créée au début des années 2000, Vento film. L’autarcie, ou l’autonomie, offre beaucoup d’avantages. Cette façon de travailler, qui évite les contraintes du cinéma au processus de fabrication plus conventionnel, réduit les coûts, induit d’emblée la recherche d’une adéquation entre l’économie du film et son esthétique, et permet une proximité plus grande avec les personnes filmées, la présence d’une équipe de tournage étant facteur de perturbation. Bref, c’est une bonne formule pour réaliser des documentaires. Tizza Covi et Reiner Frimmel ont réalisé les leurs, That’s all en 2001, et Babooska en 2005, de cette manière. Et quand ils ont conçu la Pivellina , leur première fiction, ils n’ont pas changé leur méthode de travail pour autant.

La Pivellina est donc un film autarcique, ce qui ne signifie pas qu’il est fermé sur lui-même. Au contraire, tout en lui parle d’hospitalité. Pour Patty, il est évident qu’elle se doit d’accueillir la petite, malgré les douces mises en garde de son mari, Walter, sur la responsabilité que cela représente de ne pas confier Asia à la police. Mais plus encore, le principe même de la Pivellina est fondé sur l’accueil. Celui, par exemple, des cinéastes par leurs comédiens, Patrizia Gerard et Walter Saabel, acteurs non professionnels, dont le cirque est le métier, auxquels il faut ajouter Tairo Caroli, dans le rôle d’un adolescent qui lui aussi fut accueilli et est élevé par Patty et Walter. La préparation du film s’est faite sur la durée, pour mieux se connaître, pour que les comédiens entrent dans leur rôle et trouvent leurs marques avec une caméra dont la présence ne pouvait passer inaperçue dans l’intérieur étroit de la caravane (là aussi, il s’agit d’une forme d’accueil de la part de ses habitants).

Ce travail débouche sur un « naturel » confondant, chaque comédien ne faisant plus qu’un avec son personnage. Patty, femme forte et généreuse, témoigne d’une ténacité et d’une capacité d’amour qui n’exclut pas l’humour ; Walter dévoile peu à peu sa tendresse ; Tairo est un inlassable compagnon de jeux pour l’enfant ; et, à 2 ans, Asia est tout simplement extraordinaire, pulvérisant la question de savoir s’il est possible de jouer devant une caméra à cet âge.

Il y a dans la Pivellina quelque chose qui tient du conte de l’enfant trouvé. Mais au lieu d’avoir été abandonnée au pied d’une porte cochère, dans un quartier huppé, Asia a été laissée sur une aire de jeu à l’herbe pelée, qui ressemble davantage à un terrain vague, entourée d’immeubles où habitent des populations reléguées. Patty et Walter ont la particularité supplémentaire d’être des nomades qui pratiquent un drôle de boulot, autant dire des marginaux. Mais le film, à la manière du néoréalisme italien, qui procédait aussi d’une autre économie du cinéma, devenue alors nécessaire, exclut tout folklore. Que ce soit dans les manifestations de solidarité des occupants des autres caravanes ou dans la façon dont Patty et Walter vivent chichement de leur métier, en sommeil en dehors des mois d’été.

Les cinéastes n’enjolivent rien, mais ne jouent pas davantage sur une esthétique de la pauvreté ou de la marge. Ils font preuve d’une honnêteté par rapport à leurs personnages et à leurs sentiments (toute sensiblerie est évacuée) qui a pour conséquence de renforcer l’émotion du spectateur face à ce qui se passe entre Asia et ses nouveaux protecteurs. Sans avoir besoin de l’autoproclamer, le film impose ainsi son éthique. Respect.

[^2]: Laissons au spectateur la surprise de découvrir qui est Hercule…

Culture
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