La théorie des « ensemble »

Rêve ou refuge,
expérience réelle ou fictive, le collectif
est au centre de deux bandes dessinées :
« la Communauté »
et « Las Rosas ».

Marion Dumand  • 18 février 2010 abonné·es

«L’utopie, ça réduit à la cuisson. C’est pourquoi il en faut énormément au départ. » L’esprit de Siné ouvre la bande dessinée de Tanquerelle et Yann Benoît. L’utopie est au rendez-vous, en quantité, en beauté et… en réalité. L’histoire, vraie, se passe dans les années 1970. Une bande de potes décide de s’installer ensemble pour fonder – attention, le mot est lâché – une communauté. Quarante ans après, Yann, un ancien membre, raconte l’aventure à son gendre. Souvent moquée, galvaudée, incomprise, l’expérience communautaire nous revient là, sincère et touchante.

« Travail, vie entière », « le groupe fait vivre le groupe » sont deux des principaux fondements de La Minoterie. Ils ont animé la naissance de la communauté et le premier tome de cette BD ; on les retrouve dans le second pour mieux en comprendre les grincements. Travail (quasi) à la chaîne pour assurer les commandes de jouets, le jardin, les bêtes, continuer à construire de nouvelles ­maisons… On commence à observer l’énergie déployée par chacun, on finit par se sentir floué, par ressentir des besoins personnels que le groupe ­n’offre pas. Lentement, l’édifice se fissure, jusqu’aux premiers départs et à la fin du rêve. Yann en tire sa ­propre conclusion : « Croire fortement qu’une structure sociale pourra permettre à chacun de vivre une histoire personnelle fabuleuse est de l’utopie pure. » De l’utopie à l’utopie, la ­boucle est bouclée. À moins que ces expériences n’en produisent de nouvelles. « C’est ça, l’utopie, un désir fort ­d’autre chose qui va balayer tout. Sauf que ça ne marche jamais et, pourtant, il y aura toujours quelqu’un pour chercher la bonne formule. »

À Las Rosas, on ne cherche pas la bonne formule, on propose la moins pire : un refuge pour femmes, au milieu de rien ou presque, derrière une station d’essence, à la lisière du désert et de la ville. Dès la couverture, dès le titre, Las Rosas, western tortilla à l’eau de rose, Anthony Pastor annonce la couleur : une jeune fille malmenée et en cloque, une femme mûre et taciturne, un shérif doux et malheureux sont à l’affiche de ce Bagdad Café sans niaiserie. Loin de ses cases léchées aux stylos, le dessinateur adopte un dessin réaliste à l’encre de Chine, simule l’impression de basse qualité (les aplats gris sont en fait de minuscules points noirs). La bande dessinée joue du genre, sans pour autant tourner au pastiche second degré. Et c’est cela qui surprend, happe et fait dévorer les trois cents pages de ce road movie immobile, de ce road movie de l’intime.

La tension se focalise d’abord sur la jeunesse : Rosa, sa robe léopard, ses macarons, sa fureur, et Angel, le fils prodigue, au retour attendu et craint. Ce sont eux les catalyseurs qui vont faire sourdre les secrets, ébranler la routine, toucher des femmes jusque-là à l’abri du monde, mais cloîtrées dans leurs tourments intérieurs. Comme si, dans toute communauté, la vie, l’inattendu devaient toujours reprendre leurs droits. Pour le meilleur et pour le pire.

Culture
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