Un MoDem à marier

Affaibli, le mouvement de François Bayrou fait encore rêver des socialistes, en dépit (ou à cause) d’un projet conforme aux politiques économiques actuelles.

Michel Soudais  • 25 février 2010 abonné·es
Un MoDem à marier
© Photo : Perry/AFP

Plombé par de mauvais sondages et des défections internes, le Mouvement démocrate (MoDem) de François Bayrou continue d’occuper une place à part dans le paysage politique. À gauche et chez les écologistes, on se moque volontiers de cet affaiblissement, mais pas forcément pour s’en réjouir. Car dans les instances dirigeantes du PS, jusqu’à Martine Aubry elle-même ( Politis n° 1079), on caresse toujours l’espoir de s’allier avec la formation centriste.

Il y a une dizaine de jours, Daniel Cohn-Bendit se disait fasciné de voir « comment cette force politique, qui a représenté quelque chose après la présidentielle, s’est dégonflée ». Le leader d’Europe Écologie ajoutait, ironique : « Si les déchets nucléaires disparaissaient aussi rapidement que le MoDem arrive à se faire disparaître, le problème du nucléaire trouverait des solutions assez rapides. » La comparaison a été jugée « consternante et indigne » par Marielle de Sarnez, la vice-présidente du MoDem, avec qui pourtant le leader d’Europe Écologie et des socialistes proches de Vincent Peillon envisageaient fin août de conclure une « nouvelle alliance » ( Politis n° 1065). Les listes de François Bayrou n’étant même plus assurées de passer la barre des 5 % permettant de fusionner au second tour avec une des listes ayant rassemblé plus de 10 %, l’idylle est menacée avant même d’avoir été conclue.

Elle n’est pas pour autant enterrée. En témoigne une tribune signée de dix-huit cadres socialistes venus des sphères du royalisme, parue dans Libération le 23 février, appelant à l’union en 2012 de « toute la gauche », des écologistes, des « démocrates du centre et jusqu’à ceux pour qui le gaullisme signifie le refus de la soumission de l’État aux intérêts particuliers ». Parmi les signataires de ce texte, qui affirme que « les régionales doivent être le banc d’essai de cette convergence » , quatre présidents de région : Jacques Auxiette (Pays-de-Loire), Jean-Yves Le Drian (Bretagne), Jean-Pierre Masseret (Lorraine) et Jean-Jack Queyranne (Rhône-Alpes). Leur plaidoyer en faveur « d’une vaste coalition de progrès » faisait clivage au sein du PS, lors du congrès de Reims à l’automne 2008. Depuis la fin novembre 2009, Martine Aubry l’a fait sien.
Le 9 décembre, sur France Inter, la patronne des socialistes souhaitait « que tous les démocrates et tous les humanistes se retrouvent avec les hommes et les femmes de gauche ». Elle notait aussi, pour s’en féliciter, « des évolutions » dans le projet que le MoDem venait d’adopter à Arras. La lecture de ce document, baptisé « Projet humaniste » , conduit toutefois à relativiser ces évolutions.

Ainsi, quand François Bayrou proposait, en 2007, d’ « inscrire dans la Constitution l’interdiction du déficit de fonctionnement » , le projet 2010 suggère d’ « introduire une disposition constitutionnelle visant à fixer un plafond au déficit budgétaire, ainsi que l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale et des collectivités locales ». Quelles dépenses faudrait-il réduire ? Ou quelles hausses d’impôts retenir ? Le texte est muet mais, dans les travaux préparatoires à sa rédaction, le MoDem envisageait « une contribution exceptionnelle collective […] sous forme d’augmentation de la TVA et de la CSG ». Rien de nouveau sous le soleil libéral.

Cette orthodoxie sans imagination est appliquée à tous les grands défis, pointés par les signataires de la tribune de Libération. Le maintien des retraites ? Le MoDem prône comme le Medef « un système de retraites par points » , synonyme de fin du droit collectif à la retraite à 60 ans, et la possibilité d’avoir « une retraite souple » qui permette à ceux qui le veulent de continuer à travailler à temps ­partiel ou plus. Sur l’emploi ? « Exonérer de charges sociales les deux premiers emplois créés dans chaque entreprise » coûterait 8 milliards d’euros, qui s’ajouteraient aux 32 milliards d’exonérations de cotisations sociales déjà accordées ; sans efficacité prouvée, a noté la Cour des comptes à deux reprises. L’accès aux soins pour tous ? En proposant d’ouvrir le « débat sur la répartition entre régime obligatoire et complémentaire » , le MoDem ouvre la voie à un nouveau rétrécissement de la couverture maladie de base, dans la droite ligne de la politique de franchises et de déremboursements de Nicolas Sarkozy.

Enfin, s’agissant du droit à l’éducation, qui préoccupe nos socialistes à juste raison, on retient surtout du projet du MoDem qu’il souscrit au mirage libéral de l’autonomie des établissements en prétendant « réduire l’inégalité sociale à l’école » avec des « établissements plus autonomes ». Or cette autonomie, déjà bien avancée par les politiques actuelles, aggrave les inégalités et marque un désengagement de l’État.
Si sur ces sujets essentiels les positions du MoDem n’ont rien de surprenant, venant d’une formation qui n’a jamais fait de la redistribution des richesses sa priorité, il est en revanche préoccupant que des socialistes les jugent compatibles avec leur projet. Cela signe un recentrage, ainsi résumé dans la tribune de Libération : « La question démocratique gouverne la question sociale. »

Mais François Bayrou a-t-il seulement envie de s’allier avec eux ? À supposer que ses listes passent la barre des 5 %, l’affaire est loin d’être faite. Après avoir laissé entendre qu’elles ne rejoindraient pas celles de la majorité présidentielle, le député du Béarn semble désormais vouloir regarder « région par région ». Lundi, de passage en Alsace, il citait en exemple l’Allemagne, où « les régions sont gouvernées par des majorités qui peuvent être différentes », Verts avec la CDU, SPD avec les libéraux, etc. « Tout cela donne une souplesse qui permet d’expérimenter, de trouver des idées nouvelles, de faire avancer les choses » et de ne pas être « bloc contre bloc », a-t-il vanté.
Bref, si le MoDem est effectivement à marier, c’est encore la polygamie qui lui conviendrait le mieux.

Politique
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