Barack Obama se refait une santé

Un peu plus d’un an après le coup d’envoi de la refonte du système de santé, le président Obama a réussi son pari historique : étendre l’assurance-maladie à 32 millions d’Américains. Correspondance, Alexis Buisson.

Alexis Buisson  • 25 mars 2010 abonné·es
Barack Obama se refait une santé
© PHOTO : RAEDLE/AFP

Le 27 janvier, lors de son discours sur l’état de l’Union, un Barack Obama à la cote de popularité en berne tentait de sauver « sa » réforme du système de santé. Quelques semaines auparavant, l’État du Massachusetts était tombé dans l’escarcelle républicaine au cours d’une élection partielle, privant les démocrates de la supermajorité nécessaire au Sénat pour faire passer la réforme. Aux parlementaires réunis au Capitole ce soir-là, le Président américain lançait un appel solennel : *« Ne vous détournez pas de la réforme. Pas maintenant, pas aussi près du but. »
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Dimanche dernier, les députés américains l’ont écouté. Tard dans la nuit, ils ont adopté la réforme HR 3950 par 219 voix contre 212, suivie d’un texte de « réconciliation » amendant légèrement le premier, étendant la protection médicale à quelque 32 millions d’Américains. Obama, qui a bâti sa campagne autour d’une promesse de changement, triomphe là où ses prédécesseurs ont échoué. En novembre 1945, Harry Truman était obligé d’abandonner son projet de couverture sociale obligatoire en raison des craintes de certains d’une « médecine socialisée » et à cause du déclenchement de la guerre de Corée. Dans les années 1960, le lobby des compagnies d’assurance et des entreprises de santé faisait capoter le projet de J. F. Kennedy. Dans les années 1970, Jimmy Carter devait mettre sa réforme aux oubliettes à cause de la crise économique. Et, dans les années 1990, Bill Clinton dut faire de même avec son projet de couverture médicale universelle.

Pendant la campagne, Barack Obama avait fait de la refonte du système médical un des enjeux majeurs de son mandat. Il y avait urgence. Près de 50 millions d’Américains sont non-couverts ou partiellement couverts. En dix ans, ce chiffre a augmenté de 7 millions. Une tendance aggravée ces deux dernières années par la crise, qui a accru le nombre de travailleurs pauvres, et par l’augmentation des prix pratiqués par les compagnies d’assurance. Une étude de la Kaiser Foundation montre en effet que le coût annuel moyen des assurances a doublé en dix ans aux États-Unis, s’établissant à près de 13 400 dollars (environ 9 914 euros) par ménage. Au total, 45 000 citoyens de la première puissance mondiale meurent chaque année faute de couverture médicale.

Sitôt arrivé à la Maison Blanche, en janvier 2009, Obama, alors au faîte de sa popularité, présente son projet au Congrès américain. Pour les assurés, il plaide pour davantage de sécurité : son projet interdit notamment aux compagnies d’assurance d’exclure du processus de remboursement des pathologies antérieures au début de la période de couverture. Cela concerne douze millions d’Américains, auxquels les assurances refusent le remboursement de ces soins spécifiques. Autre mesure phare : empêcher les compagnies d’assurance de mettre un terme à la couverture de patients dont le traitement serait devenu trop coûteux. Un rapport du Congrès montre en effet que, ces cinq dernières années, trois compagnies au moins ont économisé quelque 300 millions de dollars (222 millions d’euros) sur le dos de 20 000 assurés tombés « trop malades » pour être couverts. Dernier point : le Président américain souhaite étendre les couvertures médicales existantes : Medicare pour certains seniors et Medicaid, un programme géré conjointement par l’État fédéral et les État fédérés, pour les ménages à bas revenus.

Pour les non-assurés, Obama veut créer un marché virtuel sur lequel des individus et des PME peuvent comparer et acheter des assurances. Par un système de crédit d’impôt, « le plus ambitieux dans l’histoire des États-Unis en matière de santé », il souhaite encourager les non-assurés qui n’en auraient pas les moyens à se doter d’une couverture maladie. Point clé, très controversé, Obama veut créer une « Public option », une assurance d’État qui viendrait concurrencer les assureurs privés. « Ce projet de loi donnera plus de sécurité et de stabilité à ceux qui sont couverts, dotera ceux qui ne le sont pas d’une couverture médicale, et baissera le coût de la santé pour nos familles, nos entreprises et notre gouvernement » , se justifiait-il devant le Congrès début 2009.
Depuis ce moment-là, plus d’un an s’est écoulé. Dans cet intervalle, le texte est passé à la moulinette de la Chambre des représentants en ­novembre dernier puis du Sénat en décembre 2009. Les démocrates, privés de supermajorité au Sénat à la suite de l’élection d’un républicain au Capitole, ont dû mettre de l’eau dans leurs propositions. Critiqué par l’opinion, ses adversaires et parfois son propre camp, Obama doit lui aussi revoir sa stratégie. En février dernier, il proposait des amendements au texte adopté par le Sénat, moins onéreux que la version de la Chambre des représentants, pour glaner les votes qui lui manquent.

Que reste-t-il alors du projet initial ? Le texte adopté dimanche par la Chambre des représentants, enrichi de quelques mesures qui seront adoptées par le Sénat dans les jours qui viennent, reste fidèle dans ses grandes lignes au projet présidentiel. Le marché virtuel baptisé « The Exchange » devrait voir le jour en 2014. Les programmes Medicaid et Medicare seront étendus. À partir de 2014, des crédits d’impôts seront mis en place pour aider les ménages modestes à acquérir une couverture maladie ; à partir de 2018, la même mesure sera appliquée aux PME, qui souffrent, elles aussi, de l’explosion du prix des assurances privées.
Autre grande victoire : la loi ­encadre strictement les pratiques des compagnies d’assurance, mettant un terme aux interruptions unilatérales de couverture médicale et exigeant une justification pour toute augmentation de prix.

En revanche, dans la bataille législative, la Maison Blanche a laissé quelques plumes. Son crédit a été mis à mal sur la question controversée de l’avortement. Beaucoup de parlementaires, en particulier des démocrates conservateurs, n’ont pas été convaincus par la promesse du Président d’interdire le financement des avortements par « des dollars fédéraux ». De nombreuses critiques pointent les garanties insuffisantes de la loi dans ce domaine. Si 34 démocrates ont voté contre leur camp dimanche, c’est en grande partie à cause de cette épineuse question.
Par ailleurs, la Maison Blanche a dû renoncer à son ambitieux programme de « Public option ». Épinglé par ses détracteurs comme le symbole du caractère « socialiste » (une insulte aux États-Unis) de la réforme, il avait disparu du texte adopté par le Sénat en décembre et du texte de compromis proposé par Obama en février dernier.

La réforme votée, les questions ne disparaissent pas pour autant. Tout d’abord, le financement. La semaine dernière, le Congressionnal Budget Office (CBO), l’équivalent de la Cour des comptes, a noté dans un rapport considéré par certains comme décisif dans la victoire démocrate de dimanche que le texte final réduirait le déficit budgétaire de 138 milliards de dollars dans la décennie à venir, de 1,2 trillion dans la suivante, en raison de nouveaux impôts levés sur les assurances les plus onéreuses. Ces chiffres compensent largement les 950 milliards de dollars que coûte la loi dans son état actuel. Mais le camp républicain met ces chiffres en doute. Dans l’économie de la santé, les paramètres étant tellement nombreux, il est en effet difficile de s’accorder sur le coût total de la réforme.

L’autre défi est juridique : la loi à peine votée, de nombreux républicains ont annoncé leur intention de faire annuler certaines dispositions du texte par la Cour suprême. Ils pointent notamment l’inconstitutionnalité d’une disposition obligeant les non-assurés à se doter d’une assurance-maladie à l’horizon 2016 sous peine de sanction. Autre disposition dans le collimateur des républicains : les faveurs financières accordées à deux États (le Nebraska et la Louisiane) pour compenser le coût de l’expansion du programme Medicaid.
Enfin, il ne faut pas perdre de vue que 20 millions d’Américains seront toujours sans couverture en 2019. Un tiers d’entre eux seront des immigrés clandestins. Aux États-Unis, la santé pour tous est donc encore loin d’être une réalité.

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