Ça commence à bien faire, dit-il…

Geneviève Azam  • 18 mars 2010 abonné·es

L’offensive des « climato-sceptiques », et plus globalement des écolo-sceptiques, prend un relief bien particulier dans la crise globale actuelle. Faisons un retour sur les trente dernières années. Nous avons, dans ces colonnes, largement déconstruit le discours économique néolibéral, le tout-marché et le tout-concurrence. Les chantres d’alors s’appelaient Francis Fukuyama, qui nous prédisait la fin de l’histoire, Milton Friedmann, grand initiateur des stratégies du choc, Alain Minc et la mondialisation heureuse dans un monde unique, Pascal Lamy et le libre-échange émancipateur. Après la crise des années 1970, voici une nouvelle philosophie (bien grand mot) du progrès qui a séduit nombre de « responsables ». Mais, contrairement à tous les espoirs et malgré le gonflement inouï des profits, la crise est de retour. Le tout-marché, le tout-concurrence et le tout-libre échange ne font plus recette. Même raccommodés au fil néolibéral, les mots bannis font retour sur la scène publique : État, taxes, normes, protection. Le monde se mettrait-il à tourner à l’envers du néolibéralisme ?

Nous aurions tort de le penser trop vite. Peut-être n’avons-nous pas assez dit que le socle du bonheur promis reposait aussi sur les progrès infinis de la technoscience. Les années néolibérales furent celles des technologies de l’information et de la communication, qui devaient aussi apporter développement et démocratie. Elles furent celles des biotechnologies, avec la transformation du « vivant » en matière première et en objet de propriété, et la recréation d’une seconde nature, capable de pallier les insuffisances des ressources et les exigences d’accumulation et de profit. Il faut pour cela exproprier tout ce qui reste des biens communs, et des systèmes sociaux et culturels qui leur sont liés. La convergence des nanotechnologies, des biotechnologies, des technologies de l’information et des sciences cognitives, devrait accomplir ce projet. La technoscience, chargée de fournir les technologies d’adaptation à la crise écologique globale, permettra de faire tourner le monde à l’endroit.

Pendant que les économistes sont à la peine et que le tout-marché vacille, la technoscience veille. Les attaques contre le Giec vont dans ce sens-là. Ses conclusions, malgré les incertitudes et les champs qui restent à explorer, constituent une base scientifique qui éclaire les choix politiques à réaliser. Et ces choix ne peuvent occulter la responsabilité d’un mode de développement techno-industriel qui avait cru pouvoir s’affranchir des contraintes écologiques. Mais, comme l’a dit le président de la République au Salon de l’agriculture : « L’environnement, ça commence à bien faire ! » Et, aussitôt, il promet de revenir sur une des rares mesures fortes du Grenelle de l’environnement : diminuer l’utilisation des pesticides.

Le symbole est fort : l’impact des pesticides fut en effet la première alerte d’importance aux États-Unis, avec la publication en 1962 du livre fondateur de Rachel Carson, Printemps silencieux. Dans le même temps, le principe de précaution se trouve régulièrement sur la sellette ; il lui est même imputé la gabegie des mesures contre la grippe A, alors qu’elles relèvent davantage de la corruption que de la précaution. La Commission européenne passe à l’acte et autorise l’exploitation d’une pomme de terre transgénique produite par la firme BASF, alors qu’elle devrait être interdite du fait de la présence d’un gène marqueur de résistance à un antibiotique.
Dans la série, Élisabeth Badinter arrive à point nommé. À juste titre, elle s’insurge contre la naturalisation de la condition des femmes et leur culpabilisation au nom d’une « loi naturelle ». Mais la maternité à 60 ans et plus, à grand renfort de technoscience, qu’Élisabeth Badinter approuve, permettrait-elle d’échapper à cette oppression ? Pour lutter contre le naturalisme social, faudrait-il s’en remettre aux technologies de la fabrication humaine ?
Monsieur le Président, aucune société humaine ne peut se concevoir durablement en dehors des écosystèmes.

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