La paix par l’application du droit

Comme annoncé par Stéphane Hessel (Politis du 7 mai 2009), la première session du Tribunal Russell pour la Palestine (TRP) s’est déroulée à Barcelone du 1er au 3 mars.

Bernard Ravenel  • 11 mars 2010 abonné·es

C’est le barreau des avocats de Barcelone qui a finalement accueilli le Tribunal Russell dans une superbe salle, digne de l’enjeu. Ce tribunal d’opinion, qui s’est doté d’un jury composé de personnalités représentatives de la société civile internationale [^2] ; Aminata Traoré, ex-ministre de la culture (Mali) ; Cynthia McKinney, ancienne membre du Congrès américain.), s’est situé d’emblée dans la lignée du Tribunal Russell sur le Vietnam, présidé en 1966 par le mathématicien et philosophe britannique ainsi que par Jean-Paul Sartre, et qui avait eu, à l’époque, un large impact sur l’opinion internationale. Cette première session était consacrée au rôle de l’Europe dans la question israélo-palestinienne. Invité à s’exprimer sur cette initiative, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a adressé une lettre lue en séance, se référant au texte du conseil des Affaires européennes qui, le 8 décembre dernier, a réaffirmé l’illégalité des constructions et expulsions, et de toute « activité de colonisation » . Et cela à Jérusalem-Est comme dans le reste de la Cisjordanie (West Bank).

Dépourvu de toute autorité juridictionnelle, le TRP, pour sa première session, a reparcouru l’itinéraire de la tragédie palestinienne à partir du comportement des États européens et de leurs propres engagements à respecter et à faire respecter le droit international. Le système de référence juridique dans lequel s’est placé le tribunal a été celui du droit international public. Six questions ont été confrontées aux principales conventions internationales signées par tous les États concernés (Charte des Nations unies, Conventions de Genève de 1949, Déclaration universelle des droits de l’homme, etc.). Elles ont porté sur le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ; les colonies de peuplement et le pillage des ressources naturelles palestiniennes ; l’annexion de Jérusalem-Est ; le blocus de Gaza et l’opération « Plomb durci » ; la construction du Mur dans le territoire palestinien ; l’accord d’association Union européenne/Israël.

À partir de l’audition des experts, y compris israéliens et palestiniens, et de témoins (journalistes, médecins et députés européens), la démonstration de la façon dont l’Union européenne n’a pas fait suivre ses belles déclarations de principe d’une action concrète susceptible de les faire respecter sur le terrain a été implacable. Après deux jours de grande concentration, y compris du public, le jury a présenté ses conclusions à la presse. Il a énuméré les nombreux manquements de l’Union européenne et de ses États membres aux règles du droit international qui les obligent à réagir aux violations du droit international commises par Israël.

Entre autres conclusions, le TRP appelle :
– « l’UE à mettre en œuvre la résolution du Parlement européen demandant la suspension de l’accord d’association
UE-Israël et, par là même, à mettre fin à l’impunité dont Israël bénéficie jusqu’à aujourd’hui.
– les États membres à mettre en œuvre les recommandations définies au paragraphe 1975 (a) du rapport de la mission de l’ONU sur le conflit à Gaza (rapport Goldstone) eu égard à la collecte de preuves et à l’exercice de la compétence universelle contre des suspects israéliens et palestiniens […].
– à ce que les actions légales actuellement en cours dans le cadre de la campagne internationale de “Boycott, désinvestissement, sanctions” soient renforcées et élargies au sein de l’Union européenne. »
L’intérêt et l’originalité de la démarche ont été de partir de l’analyse du comportement complice des pays tiers
– en particulier l’Union européenne et ses États membres –, sans lequel le conflit ne durerait pas depuis des décennies. En effet, après l’offensive militaire israélienne à Gaza, et après une réponse européenne qui a consisté surtout à « rehausser » les relations avec Israël en guise de « sanction », le Tribunal a représenté un signe fort de contre-tendance et d’initiative sur le terrain le plus sensible de la politique de l’Union européenne, celui du respect du droit international. La participation de nombreux représentants des comités nationaux d’appui venant d’une dizaine de pays d’Europe, le niveau élevé des interventions et des témoignages qui se sont succédé, la qualité du travail juridique effectué, et l’impact médiatique déjà constaté dans le monde arabe (via Al-Jazira), en Israël et en Espagne ont conforté les organisateurs dans leur démarche.

Plusieurs autres sessions sont prévues. La prochaine se tiendra à Londres en octobre et sera consacrée au rôle des grandes entreprises internationales dans le processus de colonisation de la Palestine. Ensuite, le Tribunal envisage de siéger en Afrique du Sud et aux États-Unis, éventuellement à proximité du siège des Nations unies.
Ainsi, la première session du Tribunal contribuera-t-elle peut-être à franchir une étape dans le processus de mobilisation de la communauté internationale (sociétés civiles et État) pour la construction de la paix dans la région, qui ne pourra aboutir que dans l’application des règles du droit public international.

[^2]: Figurent notamment, sous la présidence de Stéphane Hessel, José Antonio Martin Pallin, magistrat de la Cour suprême d’Espagne ; Gisèle Halimi, avocate, militante féministe ; Michael Mansfield, avocat britannique ; Mairead Corrigan Maguire, prix Nobel de la Paix (Irlande) ; Ronald Kasrils, ex-ministre de Nelson Mandela (Afrique du Sud

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