Marie Moinard, des bulles d’égalité

À l’occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 mars, nous avons choisi de mettre
en avant trois personnalités combatives et opiniâtres, engagées pour un monde plus juste.

Léa Barbat  • 4 mars 2010 abonné·es

Un grain de beauté sur le bout du nez, des cheveux bouclés, de fines lèvres desquelles s’échappe une voix discrète. Marie Moinard parle difficilement d’elle et entretient le mystère sur son âge. Non par coquetterie, plutôt par amusement : « Les gens se trompent tout le temps. Du coup, j’ai eu envie d’en faire un jeu. C’est drôle de laisser planer le mystère. » Son visage laisse supposer la quarantaine.
Au fil de l’entretien, la langue se délie et l’apparence timide livre une personnalité aguerrie. La jeune femme est éditrice de bandes dessinées militantes qui, notamment, défendent la cause des femmes. Le féminisme à fleur de peau, Marie raconte sa dernière égratignure : « Sur un forum, une mère de trois enfants m’a dit que le féminisme était de la misogynie inversée. C’est hallucinant d’entendre de telles choses quand il s’agit d’abord et surtout d’une recherche d’égalité hommes/femmes. » Ses paroles engagées, elle les écrit dans les phylactères des bandes dessinées qu’elle édite. Ça remonte loin : môme, elle se passionne pour les dessins de presse des journaux que lit son père, et pour les aventures de Tintin, d’Astérix, pour les personnages de Pif ou d’ À suivre. Des vocations se créent pour moins que ça.

Rêveuse, « certainement insouciante » , elle a pris l’habitude des projets gavés d’illusions. « Tout ce que j’ai fait dans ma vie, je l’ai fait par passion. On n’a pas peur. On y va. » Un exemple parmi d’autres : à 22 ans, avec un bagage de droit et de lettres, elle s’embarque dans l’investigation. Avec l’avocate de Jacques Mesrine, elle enquête sur les circonstances de l’assassinat de ce dernier. Ses recherches n’ont pas pour but d’être publiées, elles resteront dans la sphère privée.

À la naissance de sa fille, Marie marque une pause avant de retourner à ses premières amours : la bande dessinée. À l’occasion de festivals, elle rencontre de jeunes auteurs qui peinent à publier. Leurs récits la ­motivent. Fidèle à ses convictions, Marie s’inscrit sur une nouvelle ligne de départ : en 2004, elle ouvre une maison d’édition. Son nom : Des Ronds dans l’O. L’appellation n’a pas de signification particulière, « c’est juste poétique. Ça me rappelait ces ricochets qu’on fait quand on est gamin ». Si elle sait dessiner, elle conserve ses planches en fond de tiroir et se contente de l’écriture de scénarios. Certains figurent dans l’ouvrage collectif En chemin, elle rencontre… publié en 2009. L’éditrice y réunit 34 auteurs sur une seule ligne : souligner, dénoncer la violence faite aux femmes. Le livre se trouve à côté d’elle, elle regarde silencieusement la couverture puis explique : « Je n’en pouvais plus de lire dans les journaux les douleurs, le mépris, l’humiliation. C’est abominable de considérer qu’une partie de la planète est méprisée. »

Sur les 34 auteurs, seules 10 sont des femmes. Les bulles sont essentiellement masculines : 90 % des auteurs de BD sont des hommes (ils sont aussi les principaux lecteurs). « En France, nous ne sommes que trois éditrices indépendantes. » Ça en dit long sur l’univers. Il n’empêche : Des Ronds dans l’O continuent de faire des ricochets. Récemment, Mon œil, de Florentine Rey, a décroché le prix Olympe de Gouge. Et, entre deux éditions, Marie est critique de BD pour des magazines spécialisés.

Quand on lui parle de féminisme, ses yeux se baissent. « Pessimiste » et révoltée contre une condition des femmes qu’elle juge « en régression » , elle considère que l’éducation reste la clé « pour qu’hommes et femmes trouvent un point de rencontre, dans une relation de paix ». Dans ce combat pacifique, ses bulles peuvent sembler délicates, mais ces petites particules montent jusqu’aux écoles dans lesquelles Marie intervient. « La BD est tellement accessible comme moyen d’expression. Le débat naît à la fin d’une histoire. On ne dit pas tout, le dessin suggère, il laisse une ellipse. »

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