CE : vocation sociale ou prestataire ?

Une étude présentée par la fédération Cezam s’interroge sur la politique sociale menée par les comités d’entreprise, alors que se tient leur salon national à Paris.

Thierry Brun  • 22 avril 2010 abonné·es

Aide à domicile, Sylvie Kerhardy raconte que son comité d’entreprise (CE) « facilite la vie des salariées en leur permettant de conduire leurs enfants à l’école le matin ou de les récupérer le soir ». Secrétaire du CE de l’association Domicile action Armor, une organisation qui emploie 80 salariés en CDI, « principalement des contrats de 20 heures, quelquefois de 35 heures » , Sylvie Kerhardy raconte aussi qu’en contrepartie « les salariées sont flexibles durant la journée. Elles peuvent cumuler des heures et bénéficier ainsi de la moitié des petites vacances scolaires ».

Dans un autre registre, Gilles Bineau, élu au CE d’Heuliez depuis une vingtaine d’années, explique comment la commission sociale du constructeur et équipementier automobile en sursis vient en aide aux salariés en difficulté : « Nous avons tenté de les aider, notamment via des dons visant à leur permettre de payer leur plein d’essence pour venir travailler. Pour d’autres salariés encore plus en difficulté, le CE a mis en place des avances remboursables. »

Cette politique sociale menée par des CE « est d’autant plus importante que la situation des salariés a beaucoup changé : précarité, temps partiel, isolement, mobilité, etc. », recense Hervé Morice, président de Cezam, fédération des associations inter-CE, historiquement proche de la CFDT, et une des deux grandes organisations associatives du secteur, avec l’Ancav, proche de la CGT. Cezam, qui rassemble 6 000 collectifs (CE et délégation unique du personnel) et représente plus d’un million de salariés, a présenté en février, avant le salon national des CE organisé à l’espace Champerret à Paris [^2], les résultats d’une étude unique en son genre. « La politique sociale des CE n’a jamais été étudiée de manière spécifique, reconnaît Hervé Morice. Les dernières études sur les CE datent de 1995-1996, et tout le monde fait comme si rien n’avait changé depuis. »
L’enquête de Cezam est donc l’occasion de mettre en évidence les difficultés accrues rencontrées par les CE et les représentants du ­personnel. Leurs moyens « se sont réduits, notamment par l’instauration de la délégation unique du personnel » , qui regroupe les missions de délégués du personnel et du CE, et sont assumés par le seul CE. Les pressions patronales sont fortes : «  On bloque les évolutions de carrière des délégués, témoigne Bate-Sele Kamango, secrétaire CGT du CE du réseau des stations-service de Proseca-Total. Comme délégué syndical et élu du CE, je dispose de vingt heures de délégation par mois pour “couvrir” les quelque 250 stations-service réparties dans toute la France. Comment peut-on faire [^3] ? »

Ainsi, des pans entiers d’actions des CE « sont peu pris en compte aujourd’hui » , confirme l’étude de Cezam, qui relève qu’à peine la moitié de ses adhérents « mènent des actions en faveur des salariés en difficulté ». Spécialiste des CE et directeur adjoint de l’Institut de recherches économiques et sociales, Christian Dufour ajoute que « c’est dans les entreprises les plus petites, où les salaires sont éventuellement plus bas, que la demande d’activités sociales et culturelles est la plus forte, parce que cela intervient comme une possible amélioration du salaire ». Mais, pour le chercheur, ces activités ne concernent que 5 000 à 6 000 CE, sur près de 30 000.

Autre constat : les opérateurs commerciaux affluent, avec pour ligne de mire la manne que représentent le budget de fonctionnement des CE (0,2 % de la masse salariale brute, 448 millions d’euros) et celui réservé aux activités socioculturelles, pas moins de 3,7 milliards d’euros pour le financement des voyages, vacances, cadeaux aux salariés, arbres de Noël, chèques-cadeaux, mutuelles, loisirs, billetterie, etc.
Signe que la concurrence est de plus en plus forte, les opérateurs privés ont multiplié les salons de toutes sortes, qui sont devenus le pain quotidien des élus de CE, avec des offres qui suscitent parfois la critique. Ainsi, SalonsCE, l’un des poids lourds des salons organisés par ­l’entreprise Exposium, filiale du groupe Unibail, géant de l’immobilier commercial, proposait en mars, pendant le salon parisien des CE, une « soirée féérique au Moulin rouge ».

« Il faut réagir contre ces salons. On n’est pas dans une logique de prestations ! » , réagit Catherine Bouillard, de la fédération Cezam. « On voit bien qu’au fil du temps les CE ont de moins en moins de capacité d’initiatives en ce qui concerne les activités sociales et culturelles, note de son côté Christian Dufour. Ils sont rattrapés par le marché pour ce qui concerne le tourisme et la culture. Les offres marchandes sont économiquement plus intéressantes que celles qui proviennent directement des CE. »

Alors que les CE fêtent cette année le 65e anniversaire de leur statut, certains pensent qu’il est temps de revisiter la dimension sociale de leurs activités. « Il y a un manque de débat à l’intérieur du monde syndical sur la finalité des activités sociales des CE, sachant que c’est un sujet d’une sensibilité extrême, souligne Christian Dufour. M ême si les représentants sont élus sur la base de bonnes idées syndicales, la réalité, c’est que sur le terrain ils sont élus en fonction de ce qu’ils font en matière d’activités sociales et culturelles. » Il est cependant temps « d’agir ensemble » pour peser face la marchandisation des activités culturelles et sociales, observe un responsable de réseau qui rappelle que Cezam a invité la CGT à son colloque et que l’Ancav accueille Cezam à son stand du salon national des CE.

[^2]: Quatrième édition du Salon national des comités d’entreprise, jusqu’au 23 avril, espace Champerret à Paris.

[^3]: Dans la Nouvelle Vie ouvrière, n° 3411, 9 avril.

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