Christophe Alévèque : « Nous avons besoin de défouloirs »

L’humoriste délaisse momentanément son registre habituel pour interpréter « Ciao amore » au théâtre. Il n’en reste pas moins l’un des rares artistes actuels faisant de l’humour un compagnon de l’engagement. Le 6 mai, il célébrera à sa façon sarcastique les trois ans de présidence Sarkozy.

Jean-Claude Renard  • 29 avril 2010 abonné·es
Christophe Alévèque : « Nous avons besoin de défouloirs »
© PHOTO : FEDOUACH/AFP

POLITIS : Vous passez du one man show engagé, seul sur scène, avec des textes que vous écrivez vous-même, à la comédie sentimentale. Comment négocie-t-on ce virage ?

Christophe Alévêque : Ce n’est pas un virage, c’est complémentaire. J’avais envie de jouer avec quelqu’un. Une envie renforcée après avoir interprété Fantasio de Musset, l’an passé, à Avignon. J’ai eu envie d’aborder un sujet peut-être pas tabou mais tout au moins désuet dans notre société : l’amour, avec ses dommages collatéraux. J’avais déjà commencé à parler dans mes spectacles d’indices du bonheur parce que l’on vit dans une société qui n’est pas portée par la solidarité, la tolérance, le partage, voire l’amour. Je souhaitais donc aborder ce thème de façon légère, puisqu’il s’agit d’une comédie, mais avec beaucoup de modernité, des interrogations sur l’épanouissement personnel, l’individualisme, la peur du lendemain. Comment peut-on ­s’aimer encore dans ce merdier-là ? Au sens large, jusqu’à ses enfants, ses voisins, ses vieux. Au reste, cette pièce m’ouvre des portes, dans l’écriture, sur mon prochain spectacle.

Autre scène, le Fouquet’s. Le 6 mai prochain, vous organisez le 3e anniversaire de l’élection de Nicolas Sarkozy devant le palace parisien. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Pour reprendre une réflexion de Guy Bedos, « il s’agit d’en rire plutôt que d’en pleurer » . C’est un mouvement qui est né spontanément, le 6 mai 2007, à l’arrivée sur scène de Mireille Mathieu, place de la Concorde. Ce qui a été un moment surréaliste. Lui, Zébulon Ier, entouré de Jane Manson, de Gilbert Montagné, d’Enrico Macias. Tout ce que la scène française compte de presque ringard. Ce ne sont pas les artistes que j’attaque. Mais on nous avait parlé durant toute la campagne de modernité, de France en marche, d’avenir, de transformation de la société. Et l’on s’est retrouvés ce 6 mai 2007 avec l’impression d’être en mai 1960. C’est aussi un moment qu’ils ont mal vécu de leur côté. C’est évident sur les images. Ça me fait donc plaisir de remuer le couteau dans la plaie, d’aller fêter chaque année la première, deuxième ou troisième année du Petit, et sa première erreur, le Fouquet’s. Il s’est excusé après, parce qu’il a changé, mais il a changé quarante fois ! Et c’est toujours bien de ­remettre le couvert, de leur remettre le nez dedans. Les « Mille Colombes » se veut surtout un mouvement de résistance ludique. On est là pour célébrer le grand timonier de la nouvelle pensée économique, sauveur de la République. D’année en année, on se dit que ça ne peut pas être pire. Même la droite se désole, constate la catastrophe. C’est donc à nous de fêter ça devant la succursale de l’Élysée.

Vous associez l’humour à une prise de position, une prise de risque, donc. Le métier d’humoriste peut-il faire l’impasse sur l’engagement ?

Cela dépend. Mes spectacles comportent une revue de presse sur l’actualité politique, économique, sociale. Ce sont les thèmes qui m’intéressent, non la politique politicienne. La stratégie, la manipulation, ce qu’il y a entre les lignes, c’est exactement ce que j’aime décrypter.

La scène est-elle devenue le dernier lieu de libre expression ?

Nous sommes encore en démocratie, ne nous affolons pas ! Mais, en termes de liberté totale, c’est la scène, assurément. C’est-à-dire que lorsqu’on joue un spectacle, derrière, on n’a ni à s’expliquer ni à s’excuser. C’est aussi pour cela que je me fais plus rare à la télévision ou à la radio. Je sentais le vent du couvre-feu moral nous tombant dessus ! Or, je n’ai pas envie de m’expliquer ou de m’excuser sur quoi que ce soit. Sur scène et dans le public, nous sommes entre personnes responsables, on peut donc pratiquer le deuxième degré allégrement, être violent, méchant, cynique, de mauvaise foi. C’est cela, la liberté.

Pensez-vous que France Télévisons est une télévision de service public, un contre-pouvoir pour résister ?

Sans doute pas à tous les niveaux, quoique certains programmes soient très bien. Mais on ne sait guère ce que fera le prochain président de France Télévisions. Être nommé par le pouvoir exécutif est inacceptable. Et si tout n’est pas à jeter, je ne comprends pas que, sur la télévision publique, il n’y ait pas une émission satirique, défoulatoire, politique et sociale qui traite de l’actualité de la semaine. Ce qui est le cas sur l’ensemble des chaînes européennes, même en Italie avec Berlusconi. Ce serait le rôle des services publics que de programmer ça, qui montrerait que la liberté n’existe pas que pour les frontons des mairies. En France, c’est la télé privée qui le fait, avec Canal +. Mais sûrement pas la télé publique, alors qu’elle n’a plus besoin d’audimat, paraît-il. Au reste, d’après les bruits qui courent, c’est un gestionnaire qui va diriger la télé publique (Alexandre Bompard, PDG d’Europe 1), qui est censée diffuser sans publicité. Il faudra m’expliquer cette contradiction. Si les décideurs ne changent pas, rien ne bougera. Mais, après tout, c’est au téléspectateur de demander ces 26 minutes de défouloir par semaine. Cela ferait du bien à tout le monde. À la télé, à la société, à la République.

Prisons, hôpitaux psychiatriques, maisons de retraite, SDF… Quel regard l’homme qui aime rire de tout porte-t-il sur ces souffrances ?

Un regard de dépit, de colère, de frustration mais pas de résignation. À mon niveau, je ne peux que dénoncer. Je ne suis pas là pour apporter des solutions. Mais, depuis quelque temps, on observe combien tout s’aggrave. Sur la question des suicides, ça n’est pas seulement à France Télécom, mais aussi à Pôle emploi, chez Renault, parmi les agriculteurs, en prison. Entreprises privées ou Fonction publique, c’est donc le même combat. Au bout de combien de suicides va-t-on finir par comprendre ? On parle de compétitivité. Pour le coup des suicides, on est compétitifs !

Vous cinglez le pouvoir en place. Vous ne manquez pas non plus le Parti socialiste. Qu’est-ce que vous leur conseillez pour redevenir socialistes ?

J’hésite. Un lavage de cerveau, une cure de sommeil de deux ans, l’explosion d’une bombe rue de Solferino… Je ne sais plus. J’avoue être dépité par le débat d’une gauche incapable de s’unir devant le danger. C’est irresponsable.

Justement, pensez-vous qu’une union de toutes les gauches et des écologistes puisse remporter la présidentielle de 2012 ?

Oui, dans le cadre d’une véritable union. Mais il faudrait que chacun mette de l’eau dans son vin. Une fois de plus, on touche aux limites de la démocratie, du débat participatif. On le voit chez les Verts. Trop de démocratie tue la démocratie ! Il y a 2 000 adhérents, 1 000 courants internes et 500 opposés ! Il faudrait que chacun fasse des efforts. Ce qu’a réussi la droite, et qu’on ne peut pas reprocher au président Zébulon, avec son histoire de droite décomplexée. Il faudrait que chacun, à gauche, rentre son nombril. C’est d’utilité publique. Faire passer son courant de pensée avant l’intérêt collectif, c’est criminel. Ce qui a été fait avant la présidentielle, et pire, après, est lamentable. De l’extrême gauche à l’aile droite du Parti socialiste. Que Besancenot ne soit pas capable de s’entendre avec les autres mouvements de l’extrême gauche, pour des questions d’idéologie, me dépasse. C’est aussi pour cette raison, étant profondément à gauche, que je prends un malin plaisir sur scène à me foutre de ma propre gueule.


Ciao amore, de Jérôme Lhotsky, mise en scène de Philippe Sohier, avec Serena Reinaldi et Christophe Alévêque, théâtre de la Gaîté-Montparnasse, 26, rue de la Gaité, Paris XIVe, tél. : 01 43 22 16 18, du mardi au samedi, 21 h, dimanche 16 h, jusqu’au 27 juin.

Les 3 ans du Petit, jeudi 6 mai, devant le Fouquet’s (99, av. des Champs-Élysées), 20 h.

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