La résilience et l’hédonisme

Face à l’impuissance des États à enrayer la crise, la ville redevient le lieu de l’invention d’un avenir meilleur, comme en témoignent plusieurs initiatives internationales.

Alexis Buisson  • 1 avril 2010 abonné·es

Dans certaines villes états-uniennes sinistrées par la crise, des familles attaquent le bitume pour y planter des légumes, disputant l’espace urbain aux places de stationnement. À Petaluma, au nord de San Francisco, des résidents ont eux aussi ouvert un front potager urbain. En 2008, six familles ont planté 50 arbres fruitiers et des centaines de plantes comestibles, installé des ruches et des poulaillers. Une tonne et demi de nourriture produite, dont elles ont organisé la distribution dans la ville, et autant de déchets urbains pour leur compost.
Ce collectif, la Petaluma Homegrown Guild, compte aujourd’hui 70 membres, habitants de tous horizons qui ont décidé de prendre les devants face à la crise écologique globale. Ils se préparent à entraîner Petaluma dans le réseau des villes en transition. Leur conviction : alors que la raréfaction du pétrole est inéluctable, il faut dès aujourd’hui apprendre à s’en passer, transition qui ne sera pas une mince affaire tant l’or noir irrigue toutes les activités – transports, production d’aliments, de matériaux, d’énergie, etc.

Né en 2006, le mouvement a pris racine à une vitesse étonnante [^2]. Sa vision globale et citoyenne inspire aujourd’hui des réseaux plus institutionnels, comme Énergie cités, né en 1990, qui travaille avec un millier d’autorités locales dans 26 pays d’Europe, engagées dans des politiques énergétiques durables [^3].

Quelque 300 agglomérations déjà s’affichent « transitionnistes » dans une trentaine de pays. Aucune en France. Une vingtaine en Californie, foyer traditionnel de non-conformisme, notamment San Francisco et Los Angeles, et près de 180 au Royaume-Uni : le mouvement est né à Totnes, dans le sud-ouest de l’Angleterre. C’est dans cette bourgade de 8 000 habitants que Rob Hopkins a entrepris en 2006 de mettre en application son Manuel de la transition  : une stratégie pour évoluer vers une société de « l’après-pétrole », inspirée de la permaculture, pratique enseignée par Hopkins et visant à la réalisation de sociétés humaines « résilientes », en équilibre ­durable d’un point de vue écologique, social et économique. Le fondateur, qui défend l’apolitisme de son mouvement, voit son succès dans le caractère positif et pragmatique de cette pensée, qui valorise la construction de solutions et le plaisir qui s’y rattache plutôt qu’une contestation idéologique frustrante du modèle destructeur.

Au centre de la méthode, la mobilisation des citoyens. Partout, ce sont des groupes militants qui s’emparent de la méthode, pour négocier ensuite la mise en place d’initiatives transitionnistes par les pouvoirs publics. À Totnes, la ville la plus avancée, une vingtaine de chantiers sont en cours : relocalisation de l’économie et de l’agriculture (bio), économies d’énergie et recours aux énergies vertes, réutilisation des objets et recyclage, échange de savoirs, etc. Là aussi, on plante des légumes et des arbres fruitiers dans les jardins ou les plates-bandes municipales. Une monnaie locale a été créée, la livre de Totnes. L’un des projets les plus ambitieux : le plan de décroissance énergétique ( Energy Descent Action Plan ), qui établit jusqu’en 2030 les étapes menant à une division par neuf de la consommation de pétrole par habitant !

Relocalisation des activités, sobriété, décroissance, implication des habitants… Ces objectifs font aussi partie du manifeste de Cittàslow, le réseau des « villes lentes » ( slow cities ) imaginé en 1999 par le maire de la ville toscane de Greve in Chianti. Avec une forte empreinte culturelle et hédoniste, inspiré qu’il est du mouvement Slow Food, né aussi en Italie en réaction à la « fast-food » – l’homogénéisation internationale de l’alimentation. Comme pour le transitionnisme, la lenteur urbaine est un combat pour ­accroître la résilience des villes devenues l’objet d’une marchandisation, « conçues comme des “marques” à vendre auprès des grands investisseurs » , avec des effets de clonage, constate Paul Ariès, politologue et enseignant à l’École nationale d’architecture [^4].

Le label Cittàslow (un escargot portant la ville sur sa coquille) est actuellement affiché par près de 130 villes dans 19 pays, engagées dans une conversion écologique, la mise en valeur de l’urbanisme et des produits locaux, le développement d’infrastructures collectives, de la solidarité et de la démocratie participative. Le gigantisme est antinomique de ce projet, insistent les fondateurs : pour adhérer au réseau, une ville doit compter moins de 50 000 habitants. La France reste pour l’instant en marge de ces différents réseaux de villes. Grigny (Rhône) pourrait cependant être la première à rejoindre Cittàslow (voir ci-contre).

[^2]: ; www.villesentransition.net.

[^3]: Pour ses 20 ans, Énergie cités organise un colloque « Inventer demain : nos villes en transition », du 28 au 30 avril, à Salerne, en Italie.

[^4]: Voir Décroissance et Gratuité, Golias.

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