Le ministère de la Parole

Denis Sieffert  • 15 avril 2010 abonné·es

À côté d’éditorialistes ou de chroniqueurs si pauvres qu’ils nous ramènent, par excès de prudence, par conformisme ou par vacuité, au café du commerce, Thomas Legrand a un grand mérite : il donne à réfléchir. Sans nécessairement laisser paraître une opinion, il propose sur l’actualité politique un véritable éclairage, pointe l’incohérence interne d’une mesure, les contradictions entre le discours et les actes, prend le contre-pied d’une idée reçue. Bref, il fait du bon boulot dans les limites d’un genre qui n’est pas simple : donner du contenu à un éditorial sans encourir le reproche d’engagement idéologique. Avec son livre, il se lâche.

Le seul titre –  Ce n’est rien…  –, emprunté à une chanson de Julien Clerc, accable Nicolas Sarkozy du pire des reproches. Le vide. Le néant. Amateur de paradoxes, Legrand nous dit : finalement, ce Sarkozy n’est ni un facho, ni un pétainiste, ni un dictateur, mais un président de droite qui fait une politique de droite. Un personnage banal et confus. Presque victime de lui-même : à force de survendre le moindre de ses actes par une communication exubérante, il s’offre à la vindicte pour une politique qu’il ne fait même pas.

Il s’est octroyé le ministère de la Parole, prérogative ordinaire de l’opposition. Il parle, il parle, il parle, mais ses promesses comme ses menaces n’ont que peu d’effets. Au passage, Legrand souligne un trait caractéristique du personnage, moins « menteur » qu’adepte de la pensée magique. Il croit ce qu’il dit, et il croit que « dire, c’est faire ». Legrand multiplie les exemples de cette nouvelle version de « beaucoup de bruit pour rien ». Et il est vrai que la liste est longue des formules bravaches restées lettres mortes. Mais, si la démonstration est convaincante, elle l’est moins quand on se penche sur les « réalisations ». L’école, les hôpitaux, la Justice, les services publics, l’emploi, et demain peut-être les retraites : c’est un paysage social dévasté que Sarkozy risque de léguer. Enfin, quand le « sarkroniqueur » (le mot est de son fils) nous dit qu’il n’y a pas de rupture entre trente mille expulsions d’immigrés et quinze mille, on comprend ce qu’il veut dire. Mais il arrive que la quantité change la nature d’un acte politique. Et là, ce n’est plus rien !

Publié dans le dossier
Voyage au coeur de l'islam
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