Mère courage

Dans « les Désemparés », tourné en 1948,
Max Ophüls mettait
en scène James Mason
et Joan Bennett.

Christophe Kantcheff  • 8 avril 2010 abonné·es

Les Désemparés est l’un des films de Max Ophüls les moins connus, les moins cités. Grâce aux Cinémas Action, qui l’ont ressorti en salle la semaine dernière, et à Carlotta films, dont l’édition DVD est désormais disponible, une injustice est réparée. Car ce film, le dernier que Max Ophüls a réalisé à Hollywood en 1948, après le sublime Lettre d’une inconnue et avant de tourner la Ronde en France , est une petite merveille.

Comme toujours chez Ophüls, la place centrale est occupée par une femme, Lucia Harper, une mère de famille comme il faut, habitant une villa sur la côte ouest, à 80 kilomètres de Los Angeles. Son mari est parti loin pour affaires quand elle apprend que sa fille de 17 ans, Bea, a une liaison avec un trouble marchand d’art. L’homme, après une altercation avec celle-ci, se tue accidentellement près de la villa des Harper, et Lucia, pour protéger sa fille, camoufle le ­cadavre. Mais un maître-chanteur va lui demander de l’argent en échange des lettres de Bea envoyées à son ex-amoureux.

Malgré un budget très serré – le critique Lutz Bacher raconte dans l’un des suppléments du DVD les conditions du tournage –, Max Ophüls a réussi à imprimer de sa marque fluide et fastueuse la mise en scène. Son usage du travelling y concourt incontestablement. Réalisé pour partie en décors naturels, ce film laisse sentir l’influence du néoréalisme, qu’Ophüls admirait.
Le cinéaste bénéficie également de deux comédiens extraordinaires, James Mason et Joan Bennett. James Mason, dont c’est l’un des premiers rôles aux États-Unis, joue un ­maître-chanteur sensuel et ambivalent, dominé socialement par Lucia et sensible à son charme. Son charme, c’est d’abord celui de Joan Bennett, qui avait précédemment joué les séductrices, en particulier chez Fritz Lang, plutôt que les mères de famille. Mais c’est aussi celui du personnage, une femme courageuse, « prisonnière » de sa famille, comme le lui dit le ­maître-chanteur, tout en étant, dans la circonstance, son solide pivot. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les Désemparés a plu aux féministes : Lucia est un personnage fort, même si, dans la société américaine de la fin des années 1940, ses prérogatives – celle de contracter un prêt dans une banque, par exemple, comme on le voit dans le film – sont conditionnées au bon vouloir du mari.
La nouvelle sortie de ce film de belle facture, entre polar et critique sociale, a aussi le mérite de remettre Max Ophüls sous les feux de l’actualité. Ce créateur de formes surprend aujourd’hui encore et continue – Todd Haynes le confirme dans un autre supplément du DVD – à inspirer nombre de cinéastes.

Culture
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