Qui doit financer la solidarité ?

Les présidents de conseil général de gauche dénoncent la non-compensation des dépenses sociales transférées par l’État aux départements. Une situation qui fragilise nombre de territoires.

Thierry Brun  • 15 avril 2010 abonné·es

Chacun fourbit ses armes. Claude Bartolone, président du conseil général de Seine-Saint-Denis, l’un des meneurs de la fronde des départements à la situation financière critique, a fait adopter un budget en déséquilibre, accusant l’État et Nicolas Sarkozy d’étrangler financièrement le département le « plus pauvre » de France. Soutenus par les présidents de conseil général de gauche, Bartolone et quelques ténors socialistes se ­dé­fendent de tout clivage gauche-droite, et accusent le gouvernement de les mettre dos au mur. « Les charges sociales transférées non compensées aux départements ont représenté 3,8 milliards d’euros en 2008, 4,2 milliards en 2009, notre situation devient catastrophique » , affirme le socialiste Claudy Lebreton, qui préside le conseil général des Côtes-d’Armor et l’Assemblée des départements de France (ADF).

Certains départements présentent la facture : depuis 2002, le conseil général de Meurthe-et-Moselle a versé 648,2 millions d’euros pour le paiement de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), la prestation de compensation du handicap (PCH) et le RMI-RSA, estime Michel Dinet, son président. Il ajoute que « le décalage entre les recettes versées par l’État et les dépenses engagées par le conseil général de Meurthe-et-Moselle pour le paiement de ces allocations s’élève à 346,3 millions d’euros » . D’autres conseils généraux annoncent qu’ils ne seront pas en mesure d’équilibrer leur budget 2011 au vu de l’évolution des dépenses de prestations et d’aides sociales. « Les départements refusent d’assumer l’impopularité du désengagement financier de l’État en ­augmentant les impôts locaux et en amputant leurs budgets d’investissement » pour financer les allocations de solidarité, lance sans détour Claudy Lebreton. Lui et six autres présidents de conseil général ont menacé d’engager des recours contre l’État, notamment des poursuites devant le Conseil constitutionnel pour la non-compensation des charges transférées aux ­départements.

À Matignon, François Fillon attend un diagnostic et des propositions sur les finances des départements fragilisés par la crise pour se prononcer, mais le choix budgétaire d’augmenter les dépenses de l’État n’est pas à l’ordre du jour. De son côté, le secrétaire d’État aux collectivités territoriales, Alain Marleix, parle d’ « opération essentiellement politique » à propos de la situation en Seine-Saint-Denis, mais reconnaît qu’une quinzaine de départements seraient en grande fragilité financière.

En arrière-plan, la bataille politique se poursuit contre la réforme des collectivités territoriales et de la fiscalité locale, souhaitée par Nicolas Sarkozy. Cette réforme envisage ­notamment la suppression des départements et de « diviser par deux le nombre d’élus locaux » , a promis le chef de l’État.

Surtout, la fronde des départements révèle les effets dramatiques de la politique de démantèlement de l’État social, qui met à mal les solidarités. Les départements sont ­désormais les principaux acteurs publics de l’action sociale en France : celle-ci représente, de loin, le premier poste de dépenses pour les conseils généraux (28,7 milliards d’euros en 2007). C’est une « dérive institutionnelle, financière et politique unique dans l’histoire passée et présente des collectivités » , explique Michel Dinet, qui estime que l’on ne peut se cantonner à la simple préoccupation comptable ou se contenter de dénoncer la suppression de la taxe professionnelle.

Dans un rapport pour l’ADF, l’élu s’interroge : « Est-ce aux territoires ou au niveau national de décider le principe d’un égal accès de chacun aux allocations individuelles de solidarité ? » Et il prévient que le financement des allocations de solidarité par les départements fait courir le risque d’une rupture d’égalité de traitement, « alors que la Sécurité sociale, les allocations familiales et la retraite sont financées pleinement par des ressources de niveau national, une partie de plus en plus importante du financement de l’APA, du RSA et de la PCH est assurée par les finances départementales » . Il y a donc une « grave incohérence avec le système de solidarité nationale », accuse Michel Dinet. « Qu’on ne nous dise pas que l’État n’a pas d’argent. Il a trouvé 5,5 milliards d’euros pour diminuer la TVA des restaurateurs, une somme qui correspond aux solidarités sociales en année pleine, pointe aussi Christian Favier, président PCF du conseil général du Val-de-Marne. Or, nous, nous agissons pour l’intérêt général. »

La mise en cause des protections sociales revient donc dans le débat politique. « Plutôt que bricoler des systèmes de péréquation qui, au final, corrigent très imparfaitement les inégalités, il faut revenir au bon sens républicain et renouer avec l’histoire de la solidarité qui prévaut dans ­notre pays depuis la création de la Sécurité sociale » , ajoute Michel Dinet. Certes, le PS s’est lancé dans une bataille du mieux-disant social qui a en perspective les élections cantonales de 2011. Mais la guéguerre autour de la maîtrise des dépenses publiques montre aussi que les dépenses sociales sont une patate chaude que se renvoient le gouvernement et les socialistes, sans apporter de solutions.

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