Retraites : l’heure de vérité

Jean-Marie Harribey  • 8 avril 2010 abonné·es

L’heure de vérité [^2] approche. Si Nicolas Sarkozy et François Fillon concrétisent leur projet de réforme des retraites, ils apporteront la preuve définitive qu’ils dirigent le gouvernement le plus réactionnaire depuis Vichy. Si, à tour de rôle, certains dirigeants actuels ou anciens du Parti socialiste laissent entendre que nous sommes obligés de reculer l’âge de la retraite ou d’allonger encore la durée de cotisation, ils ne devront plus s’étonner que les électeurs les quittent aussitôt qu’ils les plébiscitent. Enfin, si le mouvement social ne réussit pas à mobiliser l’ensemble de la société autour de cet enjeu fondamental, le capitalisme néolibéral rebondira aussi fortement que sa crise l’avait fait chuter. Pour qu’il en soit autrement, plusieurs éléments cruciaux doivent être mis en débat.

La nouvelle attaque contre les régimes de retraite par répartition s’inscrit dans la stratégie des classes bourgeoises, en France comme ailleurs, de faire payer la crise aux travailleurs, après avoir transformé la montagne de dettes privées non remboursables en dettes publiques. Le déficit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, estimé à 10,7 milliards d’euros pour 2010, s’est aggravé du fait de la récession et du chômage, et non pas de l’évolution démographique.

Quels que soient les scénarios envisagés par le Conseil d’orientation des retraites (COR), le besoin de financement des retraites est, à l’horizon 2050, supportable par l’économie. En 2007, le COR évaluait à 1,7 point de PIB le besoin non couvert par les réformes de 1993 et de 2003. Il faudrait certes davantage, environ 6 points, pour rétablir les droits amputés par ces réformes, notamment pour assurer un taux de remplacement de 75 % du salaire par la pension. Mais, d’une part, ces 6 points supplémentaires en faveur des cotisations équivalent à ceux que notre système par répartition a déjà assurés au cours des quarante dernières années. D’autre part, en 1982, les dividendes versés aux actionnaires représentaient 3,2 % du PIB et, aujourd’hui, ils s’élèvent à 8,5 % : 5,3 points de plus, quasiment tout le nécessaire pour couvrir les besoins supplémentaires. Dans ses rapports de janvier et d’avril 2010, le COR revoit à la hausse ce chiffrage parce que ses prévisions sur la croissance et le chômage sont plus pessimistes, mais les ordres de grandeur ne sont pas bouleversés. Et, de toute façon, le ralentissement de l’économie et le chômage sont deux raisons supplémentaires de refuser l’augmentation du temps de travail et d’exiger une répartition des revenus qui revienne en faveur de la masse salariale : l’emploi et les retraites en dépendent.

Aussi modestes que soient les futurs gains de productivité, une nouvelle règle pourrait être mise en œuvre : répartir ces gains entre la réduction du temps de travail, la prise en charge des retraites et la couverture des besoins sociaux non satisfaits. Contrairement à ce qui est parfois dit, cette règle n’a rien à voir avec le productivisme, car la richesse peut augmenter par le biais d’une production de qualité et celui des services non-marchands. Le financement des retraites serait assuré en soumettant à cotisation tous les profits non réinvestis, notamment les dividendes, ce qui signifierait un élargissement de l’assiette des cotisations. Les marges de manœuvre existent, à condition d’euthanasier les rentiers, comme disait Keynes.

Tel est le socle qui peut constituer la base d’un large accord parmi toutes les composantes du mouvement social. Attac et la Fondation Copernic ont pris l’initiative de leur proposer un appel « Faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites », qui est aujourd’hui signé par 350 personnalités du monde intellectuel, associatif, syndical et politique. Il est maintenant entre les mains des citoyens. La bataille sur les retraites est à un tournant : ou bien nous bloquons la machine néolibérale à tout détruire, ou bien l’accumulation financière reprend ses droits après avoir mis le monde au bord de l’abîme, en attendant la prochaine crise. La question des retraites va au-delà des retraites : elle symbolise un choix de société, à la fois solidaire et écologique.

[^2]: C’est le titre d’un ouvrage d’Attac et de la Fondation Copernic à paraître chez Syllepse.

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