Théâtre : Vitez, homme de sens

Vingt ans après la mort du metteur en scène, Éloi Recoing, Nada Strancar et Jean-Marie Winling témoignent de leur travail à ses côtés.

Gilles Costaz  • 8 avril 2010 abonné·es
Théâtre : Vitez, homme de sens
© PHOTO : JEANNE VITEZ

Le 30 avril 1990, on apprenait avec stupeur la mort d’Antoine Vitez. Ce grand homme de théâtre, qui avait été nommé à la direction de la Comédie-Française, disparaissait brutalement à l’âge de 60 ans, avant d’avoir pu réaliser totalement ce qu’il avait mis en œuvre. Mais il avait tant inventé, tant entrepris auparavant ! Il avait pourtant abordé tardivement le théâtre, à 36 ans, car il s’était d’abord consacré à une activité littéraire, en étant le secrétaire d’Aragon et en s’adonnant à la traduction du russe et du grec. Il était d’ailleurs aussi un grand poète, ce qui peut se vérifier quand on lit ses nombreux écrits publiés aux éditions POL. Le théâtre fut, cependant, sa vie. Il fut même un révolutionnaire de cet art, incompris, chahuté, hué avant d’être applaudi. De 1972 à 1980, il fit du théâtre des Quartiers-d’Ivry un laboratoire où les classiques et aussi les modernes trouvaient un éclairage inattendu. Puis, de 1981 à 1988, il multiplia les mises en scène marquantes à la tête du ­théâtre de Chaillot, comme la transposition de Tombeau pour 500 000 soldats de Guyotat ou la première mise en scène intégrale du Soulier de satin de Claudel (d’abord présentée au festival d’Avignon 1987).

L’association des Amis d’Antoine Vitez crée une série d’événements à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort. Les partis pris semblent paradoxaux puisque les volets les plus importants traitent des rapports de Vitez avec la photographie et la marionnette. Mais on a voulu privilégier les aspects méconnus. Fils de photographe, Vitez pratiquait lui-même cet art et était assez fier de ses prises de vue. Quant à la marionnette, elle le fascina toujours. Éloi Recoing, metteur en scène, traducteur, assistant de Vitez sur maints spectacles, lui rend hommage avec un colloque et un spectacle de marionnettes qui promet, Vitez en effigie (Chaillot, 29 avril, 18 h). Pour lui, on peut partir de cette passion des pantins de chiffons et de bois pour comprendre tout Vitez.

« La marionnette, chez Vitez, c’était une façon de mettre de la distance, dit Eloi Recoing. Cela révélait sa capacité à alterner le grand genre et le genre mineur, sa façon désinvolte de jouer avec les formes. Quand j’étais son assistant, j’étais dans une grande innocence. Je ne savais pas qui je côtoyais. Les répétitions étaient des moments de jubilation et de grande liberté. Il nous pensait, nous situait, nous inscrivait dans l’histoire. C’est ce qui manque aujourd’hui et c’est pour cela qu’il faut raconter à nouveau l’aventure de Vitez, pour nous situer dans la chaîne mémorielle de notre art, comme il disait. Par ailleurs, c’était un homme de la lettre autant que du théâtre. Son amour de la traduction renvoyait à une conscience de l’universel. Autant de choses à rapporter aux jeunes générations. »

Qu’est-ce qui était nouveau et choquait parfois pour que Vitez ait ­suscité autant de désaccords ? Jean-Marie Winling fut son élève, son assistant, son acteur, et même professeur avec lui, de la période Ivry à la période Chaillot. Il se souvient : « J’ai toujours connu le même homme. L’atelier, le laboratoire, la mise en scène, tout était la même chose. Vitez donnait à voir les signes, le sens des choses. Aux acteurs, il disait : peu importe ce que tu fais, l’important, c’est qu’on puisse voir l’idée. On jouait à plat ventre, on faisait du théâtre-récit… Cela faisait scandale. Nous, les acteurs vitéziens, nous n’étions reconnus par personne. On était considérés comme des intellos que personne n’engageait ailleurs. Ce que Vitez détestait, c’était l’heureux-vivre, le léché. Il disait : je hais le métier. » Winling se souvient qu’à une représentation de Bérénice au TNP, une toile tendue dans le décor faisait un pli. Patrice Chéreau, alors directeur, en était malade. Vitez, lui, s’en moquait éperdument.

Nada Strancar a été elle aussi l’une de ses grandes interprètes. Elle se rappelle de la même façon ce sentiment de liberté et de renouveau : « Vitez n’était pas dirigiste. On pouvait tout faire, le pire et le meilleur. Il avait un regard bienveillant et amoureux sur l’acteur. Il avait toujours un peu de mal à se mettre aux répétitions. Alors il parlait des articles de l’Huma, de l’actualité, faisait des imitations. Ensuite, on travaillait, mais rien n’était jamais compliqué. Jamais de phraséologie théâtreuse. Rien n’était en présupposé. Le concret faisait peu à peu de la pensée. »


Présence d’Antoine Vitez : divers événements au théâtre d’Ivry, à Théâtre ouvert, à l’IVT, à la Maison de la poésie, au Centquatre, au Conservatoire, jusqu’au 15 mai. À la Colline, Vitez et le parti communiste, le 10 avril. À Chaillot, Vitez et la marionnette (colloque et spectacle), les 29 et 30 avril.
Expositions Portraits de familles, Espace Niemeyer, 10 avril-28 mais, Portraits au miroir, Vieux-Colombier, 16 avril-14 mai.

Culture
Temps de lecture : 4 minutes