Un bébé à tout faire

Filmé sans autorisation dans la cité iranienne, Téhéran , de Nader T. Homayoun, est un film
mi-satirique mi-humaniste sur l’Iran d’aujourd’hui.

Ingrid Merckx  • 15 avril 2010 abonné·es

Remake iranien de Trois Hommes et un couffin de Coline Serreau ou de l’Enfant des frères Dardenne ? Un mendiant, un étudiant et un chauffeur de taxi qui partagent une piaule dans un quartier pauvre de Téhéran prennent soin d’un bébé de 8-10 mois. Ils passent la journée et la nuit avec, s’allongeant autour de lui sur le même grand matelas, entourant de leurs attentions ce petit objet d’un drame… Car ce bébé n’est pas l’enfant de l’un mais son gagne-pain. « Ma femme est morte me laissant seul avec le bébé, aidez-moi » , larmoie Ebrahim en glissant entre les voitures embouteillées dans la chaleur, l’enfant ballotté dans ses bras. Téhéran commence là où l’Enfant s’arrêtait. Ce bébé sans prénom ni mère a été vendu, il porte sous l’aisselle la marque du quartier sud de la ville. Il passe de bras en bras comme une marchandise de valeur et ne doit sa survie qu’à ce qu’il rapporte. Ce qui donne lieu à des scènes presque cocasses où le parrain explique au mendiant comment mettre du gel sur les gencives du petit pour soulager ses douleurs dentaires. Et où la prostituée fait les yeux doux à l’étudiant pour qu’il lui cède le petit « trésor ».

Téhéran n’est pas une comédie mais un drame social à tendance policière et tourné dans des conditions sauvages, sans autorisation : certains plans ont fait l’objet d’une prise unique, d’autres ont été filmés en quelques minutes avec des figurants improvisés. L’objectif de Nader T. Homayoun, ancien élève de Jean Rouch à la Femis, qui signe ici son premier film, était moins d’évoquer le trafic d’enfants, légende urbaine tenace en Iran, paraît-il, que la jungle tentaculaire que représente cette ville pourrie par le banditisme et pourrissant les blédards. « Ce film révèle aussi l’état d’esprit de la société iranienne d’aujourd’hui après quatre ans de présidence d’Ahmadinejad. C’est le triomphe de la démagogie, du cynisme et de l’impunité. » Les hommes y font la loi eux-mêmes. Les institutions religieuses ne viennent en aide qu’aux riches. Et les femmes ­vendent leur corps ou leurs enfants dans une cité maquerelle qui leur laisse le choix entre être violentées ou se faire violence. Téhéran est d’abord un film dans la rue et sur la rue, son ­spectacle, ses acteurs, ses rapports de force. Un endroit incongru pour un bébé. Mais c’est dans cette incongruité que Nader T. Homayoun puise son énergie en parvenant à ne verser ni dans la violence trash ni dans l’émotion facile. Film hybride utilisant des ressorts du documentaire et de la fiction, Téhéran maintient un faux rythme, à cheval entre les genres, mais un vrai équilibre entre un regard de satiriste et un regard humaniste.

Culture
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