Affaires intimes

Au-delà des références à des faits connus, Éric Halphen tisse une morale.

Sébastien Fontenelle  • 27 mai 2010 abonné·es

On retrouve dans la Piste du temps  [^2], le nouveau livre – au ­titre très hillermanien – d’Éric Halphen, les deux principaux personnages de son précédent polar, Maquillage, paru en 2007 chez le même éditeur : le juge, Jonas Barth, et le flic, Maximilien – dit Max – Bizek, de la brigade criminelle. Dans le temps du roman, six mois seulement se sont écoulés depuis la fin de leur précédente collaboration, avant que le meurtre d’un ancien champion d’athlétisme reconverti dans l’affairisme ne les réunisse de nouveau pour une enquête sous pression : celle d’un pouvoir politique qui n’aime pas du tout que d’effrontés magistrats mettent leur nez dans sa comptabilité, et qui est prêt à tout pour les guérir de leur curiosité.

Bien évidemment, la ressemblance avec des scandales – on songe notamment à « l’affaire Pacary », qui a, parmi beaucoup d’autres, défrayé la chronique – ou des personnages (parfois très peu ragoûtants) existant réellement serait, ici, tout sauf fortuite : le juge Halphen, pour avoir instruit l’affaire dite « des HLM de Paris » sans se laisser intimider, a expérimenté, de près, qu’on ne s’attaquait pas impunément aux dessous du financement des partis politiques, et la fiction, sous sa plume, a souvent les accents d’une dérangeante réalité.

On aurait tort, cependant, de regarder la Piste du temps comme un manuel de défense pour temps de corruption. L’attention affectueuse portée aux personnages et la restitution minutieuse de leur intimité font qu’il s’agit d’abord de la photo de groupe, ici et maintenant, d’un attachant échantillon d’humanité où « l’écoulement du temps » et l’incertitude quotidienne transcendent les clivages et les normes (familiales, sociales, sentimentales) – comme un instantané d’une société où le collectif ne triomphe plus, et dans laquelle chacun, lesté de son fardeau personnel, cherche à se ménager un abri dans l’addition des individualismes, au prix de la constante redécouverte qu’on n’est rien sans les autres : on a connu de pires morales.

[^2]: Rivages, 415 p., 21,50 euros.

Culture
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