Ces plantes qui aiment les plantes

Le Grenelle avait décidé de réduire de moitié l’usage des pesticides en dix ans, mais les lobbies contre-attaquent et l’administration bloque le développement des produits naturels de traitement.

Sophie Chapelle  • 6 mai 2010 abonné·es

Des élus, agriculteurs, jardiniers, citoyens « sulfatent » à tour de rôle en plein cœur de Saint-Chamond (Loire). L’épandage, ici, n’a rien de bien dangereux. « C’est de l’eau dans laquelle on a mis un peu d’huile de neem » , confirme Jean Sabench, responsable de la commission pesticides à la Confédération paysanne. Le neem est un arbre d’origine indienne aux propriétés médicinales et insecticides. Tour à tour cosmétiques, vermifuges, antiparasitaires, les huiles extraites de ses graines sont considérées par ses utilisateurs comme un remède universel. En France, pourtant, traiter à l’huile de neem est interdit. « L’administration française s’entête à traiter ce produit comme un pesticide chimique et veut lui appliquer une réglementation inadaptée » , commente Jean Sabench. « On ne peut prendre le risque de ne pas ­soumettre ces produits à des procédures au prétexte de leur origine naturelle » , rétorque une source proche du ministère de l’Écologie. Leurs matières actives doivent ainsi être inscrites sur une liste européenne. C’est ensuite aux États membres d’autoriser au niveau national la commercialisation des préparations contenant ces matières actives.

Alors que le projet de loi Grenelle 2 est en cours d’examen, les producteurs exigent que ces produits qualifiés juridiquement de « préparations naturelles peu préoccupantes » (PNPP) bénéficient enfin d’une procédure simplifiée. « Cela fait déjà trois fois que les députés et sénateurs votent une décision dans ce sens afin de favoriser l’utilisation de ces produits, et l’administration la bloque à chaque fois » , s’agace le syndicaliste. Au ministère de l’Écologie, on assure pourtant, au vu des retours d’expérience, que « la procédure de validation classique est adaptée ».

L’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab) a bien déposé un dossier pour la prêle, dont on tire une décoction fongicide, auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Mais, après huit mois de travail, le dossier est toujours en cours d’instruction. Recherches bibliographiques, données sur la nature et la toxicité de la plante… « Un particulier, même s’il est spécialisé dans les PNPP, n’a pas la capacité de faire ce travail-là, témoigne Monique Jonis, de l’Itab.  Le système d’évaluation des phytopharmaceutiques a été conçu pour des produits chimiques de synthèse brevetés contenant le plus souvent une unique matière active. C’est différent avec la prêle, plante contenant un grand nombre de substances potentiellement actives et qui ne fait pas l’objet d’une protection industrielle. » Longue, difficile, la procédure se révèle également coûteuse. Quarante mille euros : tel est le montant de la taxe à régler pour un simple dépôt de dossier auprès de l’Afssa ! À l’inverse des phytopharmaceutiques, les PNPP ne sont pas brevetables : aucune entreprise privée ne s’aventurera sur ce terrain peu rentable, dont le développement repose donc exclusivement sur des démarches citoyennes.

Confrontées à une impasse réglementaire en France, les PNPP se développent pourtant en Allemagne, en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Autriche, qui ont décidé de classer ces préparations sur des listes spécifiques, hors produits phytopharmaceutiques, leur évitant ainsi l’inscription des matières actives sur la liste européenne. Plus de 400 PNPP sont ainsi commercialisées en Allemagne. Au ministère de l’Écologie, on explique que « l’interprétation nationale de la législation communautaire diffère. Les PNPP revendiquent de pouvoir agir et protéger les plantes contre des pathogènes, définition qui les fait entrer de plain-pied dans la législation des ­phyto­pharmaceutiques à usage agricole ». Point d’autre solution que de faire passer ces substances sous les fourches caudines de l’inscription communautaire, assure-t-on également au ministère de l’Agriculture. Une interprétation qui fait le bonheur des firmes de l’agrobusiness.
Première consommatrice de pesticides en Europe, troisième au niveau mondial, la France peine à mettre en cohérence son discours et ses actes. D’un côté, un plan Ecophyto vise à réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici à 2018. De l’autre, des alternatives non chimiques se heurtent à des blocages administratifs. « Les lobbies sont très puissants et ils ont mis dans la tête de tout le monde que, sans pesticides, on ne pouvait pas faire d’agriculture » , analyse Jean Sabench. Une pression qui expliquerait les différents revirements réglementaires.

Le jour de l’épandage d’huile de neem à Saint-Chamond, début avril, un appel à la désobéissance civile a été lancé. « Nous continuons d’utiliser ces produits-là dans la transparence avec les services de l’État et nos organismes certificateurs, explique Jean-Luc Juthier, arboriculteur bio. Pour nous soutenir dans ce combat, nous en appelons aux autres producteurs mais aussi aux consommateurs et aux collectivités territoriales souhaitant des produits sans pesticides. » ­Plusieurs communes, dont ­Saint-Chamond, Périgueux ou Bergerac ont déjà manifesté leur soutien.

Écologie
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