Drôle d’exception française

La conférence de révision du Statut de la CPI, qui s’ouvre à Kampala, doit être l’occasion pour la France d’adapter enfin ses lois aux principes du droit international.

Mireille Fanon-Mendès France  et  Patrick Braouezec  • 27 mai 2010 abonné·es
Drôle d’exception française
© PHOTO : CZERWINSKI/AFP

Du 31 mai au 11 juin prochains, les Etats parties au Statut de la Cour pénale internationale se réunissent à Kampala [^2] pour la première Conférence de révision du Statut [^3] de la CPI; ce sera pour eux l’occasion de procéder au premier bilan de l’application et de l’impact de ce Statut mais aussi d’examiner des propositions d’amendements qui portent essentiellement sur des réserves , dont celles de la France qui a demandé l’application d’une disposition transitoire, pour une période de 7 ans [^3], portant sur la non acceptation de la compétence de la Cour en ce qui concerne la catégorie des crimes visés à l’article 8 [^5] du Statut [^6]. Sera aussi abordée la question de la définition du crime d’agression [^7] ,car si ce crime relève bien de la compétence de la Cour, contrairement au crime de génocide [^8] , au crime contre l’humanité [^9] et au crime de guerre [^10] il n’est toujours pas défini sur le plan du droit international. Cette difficulté tient au fait que la Charte des Nations unies précise que seul le Conseil de Sécurité peut déterminer s’il y a oui ou non un crime d’agression [^11]. Lors des travaux d’élaboration du Statut de Rome, aucun consensus n’a pu être trouvé entre les Etats et les ONGs; dès lors cette conférence devrait être l’occasion de trouver une définition acceptable pour chacun afin que le crime d’agression, qui s’inscrit parfaitement sous l’article 2§4 de la Charte des Nations unies, ne soit plus présenté comme inévoquable par manque de définition.

Au-delà de ces points qui ont leur importance, cette conférence de révision aurait dû être l’occasion de se pencher sur le cas des peuples sans Etats et de régler le fait que, victimes de crimes internationaux, aucune instance juridique internationale ne leur permet de voir leur droit d’accès au juge d’une juridiction internationale reconnu. Aucun Etat partie n’a cru utile de proposer un amendement. Pourtant ces peuples sans Etat ne sont ils pas peuples du monde?

Avant cette réunion, espérons que la France aura enfin adapté sa loi aux principes généraux du droit international. La Commission Nationale Consultative des Droits des l’Homme (CNCDH) a déjà interpellé 4 fois le Premier Ministre à propos de cette adaptation demandée avec constance et insistance [^12] par de nombreuses associations qui se sont regroupées au sein de la Coalition française pour la Cour Pénale Internationale [^13]. Espérons le, sinon la France restera un pays où les auteurs présumés des crimes les plus graves peuvent se promener en toute liberté puisqu’elle n’a toujours pas doté ses juges du pouvoir de juger les auteurs de crimes internationaux trouvés sur son territoire. Pour l’instant, la France a un pied dedans et un pied dehors mais participe pleinement, en tant qu’Etat membre, au budget de la CPI, à hauteur de 10% du budget [^14] alors qu’elle n’a toujours pas adopté le principe de l’impunité qui est la pièce maitresse du Statut de Rome?

Pour mémoire, quelques dates.
Le 17 juillet 1998, une grande partie de la communauté internationale a approuvé, à Rome, la Convention portant le statut d’une Cour pénale internationale [^15]. Avec cet acte décisif se trouve installée une institution permanente pouvant exercer sa compétence à l’égard des personnes victimes des crimes les plus graves et à lutter partout contre l’impunité en poursuivant les auteurs de ces crimes, quel que soit le lieu où ce crime qui touche l’ensemble de la communauté internationale [^16] a été commis et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes.

En Juin 2000, la France ratifie le Statut de Rome et scelle ainsi sa participation, pleine et entière, à la mise en place de la Cour pénale internationale, prête bien sûr à lutter contre les crimes internationaux tels que définis [^17] dans le Statut de Rome. C’est du moins ce qu’elle affirme. Mais en fait c’est l’occasion pour la France de s’arranger avec le Statut qui ne lui convient pas totalement.

Le 11 avril 2002, le seuil des 60 ratifications pour l’installation de la CPI est dépassé; elle entrera officiellement en fonction à La Haye, le 1er juillet 2002.

10 ans après sa création, la justice tant appelée par les victimes « de crimes d’une telle gravité qu’ils menacent la paix , la sécurité et le bien-être du monde » [^18] ne peut toujours pas être reconnue comme universelle et est bien loin des intentions déclarées dans le Préambule.
La CPI, inscrite dans un rapport de forces inégal entre les Etats parties, ne s’occupe que de certaines situations. Trois concernent des Etats parties: l’Ouganda, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine pour lesquels ont été déférés des faits s’étant déroulés sur leur territoire, et seul, à la demande du Conseil de sécurité, le Soudan -Etat non partie au statut- a vu sa situation, pour la région du Darfour, déferrer à la Cour. De son côté, le Procureur a usé de la possibilité que lui donne le Statut de Rome pour ouvrir une enquête « de sa propre initiative » [^19] sur la situation concernant la République du Kenya relativement aux violences post électorales survenues en 2007-2008 ».

Pour l’heure, la France refuse d’intégrer en partie dans son droit interne la répression des violations des Conventions de Genève de 1949 et des deux protocoles additionnels de 1977 [^20] . Dès lors, pour l’instant, une stricte conformité entre les définitions des incriminations du droit français et les définitions du droit international n’existant toujours pas, elle prend le risque de tomber sous le coup de l’article 17-b [[Article 17: QUESTIONS RELATIVES À LA RECEVABILITÉ
1.Eu égard au dixième alinéa du préambule et à l’article premier du présent Statut, une affaire est jugée irrecevable par la Cour lorsque :
b) L’affaire a fait l’objet d’une enquête de la part d’un État ayant compétence en l’espèce et que cet État a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l’effet du manque de volonté ou de l’incapacité de l’État de mener véritablement à bien des poursuites;]] du Statut de Rome qui précise que la Cour peut juger une affaire irrecevable au cas où l’absence de poursuites internes serait «l’effet du manque de volonté ou de l’incapacité de l’Etat de mener véritablement à bien des poursuites» , ceci au regard du principe de complémentarité entre la CPI et les tribunaux nationaux qui est la seule voie pour lutter réellement contre toutes les causes de l’impunité. Ce principe suppose que les Etats adaptent leurs législations pour permettre à leurs tribunaux d’assumer ces responsabilités nouvelles.

De plus, notre pays s’arrange avec le principe concernant l’imprescriptibilité des crimes [^21]. Le projet de loi, passé en première lecture au Sénat en juillet 2008, et qui devrait bientôt être débattu à l’Assemblée nationale, prévoit une prescription de l’action publique et de la peine de 30 ans pour les crimes, et de 20 ans pour les délits de guerre. Ainsi les gouvernements successifs ont fait fi de la décision [^22] du Conseil constitutionnel qui a jugé qu’ « aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n’interdit l’imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale » . Ainsi, la France représente une terre d’accueil pour les responsables des massacres les plus odieux, à l’abri de toutes poursuites devant les tribunaux français, à moins qu’ils ne soient de nationalité française. Peut-etre cherche t elle surtout à éviter un retour de bâtons judiciaire sur son passé colonial et sur certaines des opérations extérieures de l’Etat?

Cette spécificité à la française montre comment les Etats parties s’arrangent avec le droit international et combien ils font peu cas des normes impératives qu’ils ratifient.

Dès lors, les puissants, dont certains sont membres permanents du Conseil de Sécurité, s’exonèrent à bon compte des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide commis par leurs forces armées sur les populations civiles.

N’est ce pas le même jeu, dont la règle principale repose sur de l’injonction paradoxale, qui fonctionne avec la Charte de l’ONU que tout Etat partie est tenu de respecter? Combien d’Etats violent l’interdiction de l’usage de la force ou de la menace de l’usage de la force ? [^23] A commencer par les plus puissants: les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la France, Israël….pour ne parler que d’eux!

Pourquoi ces mêmes Etats voudraient ils appliquer et respecter pleinement le Statut de la Cour pénale internationale qu’eux-mêmes ont appelé de leurs voeux dans un Préambule vibrant qui ne peut qu’émouvoir les consciences, tout comme celui de la Charte?

Depuis 8 ans, la CPI cherche ses marques pour répondre de manière effective aux enjeux présentés dans le Préambule du Statut, parce qu’en définitive, force est de constater qu’il y a bien une réelle inégalité des Etats et des coupables devant le droit.

Des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes d’agression ne sont ils pas ou n’ont ils pas été commis en Tchétchénie, en Irak, au Liban, au Sri Lanka….en Palestine -aussi bien dans la Bande de Gaza qu’en Cisjordanie-, en Afghanistan,, en Géorgie, en Colombie? … Seuls ces quatre derniers pays bénéficient d’une attention particulière de la part du bureau du Procureur de la CPI [^24], Luis Moreno-Ocampo.

La CPI suscite nombre de critiques puisque l’ensemble des Etats dont le territoire est le lieu de crimes internationaux ne sont pas traités de manière équitable. Cet état de fait est souvent identifié comme une politique du « deux poids, deux mesures » et ne fait que renforcer le sentiment d’injustice et d’inégalité.

Si 125 Etats sont répertoriés par Amnesty International [^25] comme exerçant la compétence universelle sur un des crimes au moins, il y en a très peu qui promulguent des lois de compétence universelle sur l’ensemble des crimes.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une quinzaine de pays [^26] ont exercé la compétence universelle en ouvrant des enquêtes ou des poursuites concernant les auteurs présumés de crimes au regard du droit international. D’autres, comme le Mexique, ont procédé à des extraditions vers des pays où les personnes extradées étaient poursuivies en vertu de la compétence universelle.
Nous sommes loin d’une compétence universelle qui permettrait de « mettre un terme à l’impunité des auteurs de crimes internationaux et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes »
Malgré ces fortes déclarations affichées, ce type d’arrangements délégitime le processus de répression des crimes de guerre au niveau international et permet une fois de plus que le droit international soit remis en cause, critiqué et bafoué.

La France, avec ses positions restrictives, aurait elle le désir de voir un réel affaiblissement de la répression des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de génocide et des crimes d’agression? C’est ce que laisserait entendre le rapporteur de ce projet de loi qui, lors de la séance de travail de la commission des lois, a affirmé « qu’il fallait se montrer raisonnables avec ce projet plutôt que de tomber dans les excès et les sentiments des Belges et des Espagnols ». Ou peut-être préfère t elle un retour vers le jus ad bellum au détriment du respect du droit à la paix et à la sécurité affirmé dans le Préambule de la Charte des Nations Unies?

[^2]: En Ouganda

[^3]: Communément appelé Statut de Rome

[^4]: Communément appelé Statut de Rome

[^5]: Portant sur les crimes de guerre

[^6]: article 124 du Statut de Rome

[^7]: précisé dans l’article 5 mais pour lequel aucune définition n’a été donnée

[^8]: Article 6

[^9]: Article 7

[^10]: Article 8

[^11]: Article 39, Chapitre 7, Charte des Nations unies

[^12]: La loi d’adaptation a été annoncée en 2006, en 2007, en 2008 et en 2009

[^13]: Regroupant 45 associations

[^14]: Articles 113 et 117 du Statut de Rome

[^15]: 120 Etats l’ont approuvée, 7 ont voté contre (entre autres Etats-Unis, Chine, Israël…), 21 se sont abstenus

[^16]: Préambule du Statut de Rome

[^17]: Article 6 pour le crime de génocide, article 7 pour le crime contre l’humanité et article 8 pour le crime de guerre. Quant au crime d’agression signalé dans l’article 5-d, il est soumis à une disposition qui devrait intervenir lors de la conférence de Kampala (articles 121 et 123) afin de donner une définition de ce crime

[^18]: §3 du Préambule du Statut de Rome

[^19]: Article 15-1

[^20]: Ce qui explique certainement qu’elle ne manifeste aucun intérêt pour les violations graves de la 4ème Convention de Genève et encore moins pour la convocation d’une conférence des Hautes parties contractantes

[^21]: Article 29 du Statut de Rome posant le principe d’imprescriptibilité des crimes de guerre

[^22]: Considérant 20, décision du 22 janvier 1999

[^23]: Article 2§4 de la Charte de l’ONU

[^24]: [>http://www2.icc-cpi.int/Menus/ICC/Structure+of+the+Court/Office+of+the+Prosecutor], lien Bureau du Procureur

[^25]: Universal Jurisdiction: the duty of states to enact and implement legislation

[^26]: l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis d’Amérique, la Finlande, la France, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et le Sénégal.

Idées
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