L’offensive DSK

Il voulait se faire désirer. Mais le succès du PS aux régionales a contrarié le patron du FMI, qui doit désormais s’imposer dans l’opinion pour être candidat à l’Élysée.

Michel Soudais  • 27 mai 2010 abonné·es
L’offensive DSK
© PHOTO : DERUNGS/AFP

Dominique Strauss-Kahn « ne demande qu’une chose, qu’on [le] laisse travailler » . Cette petite phrase, lâchée en fin d’émission en réponse à une Arlette Chabot qui le pressait de dire s’il pensait à la présidentielle de 2012, n’a guère trompé que ceux qui veulent se laisser abuser. Pourquoi diable le directeur général du FMI accepterait-il de se produire dans une émission de politique (hexagonale) française s’il ne nourrissait pas l’espoir de concourir au prochain grand prix de l’Élysée ? Pourquoi aurait-il demandé que cet entretien de près d’une heure, enregistré à Washington, initialement programmé le 17 juin, soit avancé au 20 mai pour ne pas se trouver en concurrence avec le match France-Mexique, si l’objectif de cette prestation était uniquement de défendre son action à la tête du FMI ?
Omniprésent sur la scène internationale, DSK n’a jamais oublié ses ambitions élyséennes. En octobre 2007, il avait d’ailleurs rassuré ses amis socialistes de Sarcelles, avant de prendre ses fonctions à Washington : « Ce n’est certainement pas un adieu, même pas un au revoir. Je m’éloigne juste un peu, le temps de me faire désirer. » Se faire désirer… Quoi de mieux pour cela que de se tenir à distance des intrigues de Solferino ?

Longtemps, son exil doré à Washington – son poste lui assure 495 000 dollars net par an –, lui a permis de voir venir 2012. Banquier globe-trotter au contact des chefs d’État de la planète, avec qui il siège dans les sommets internationaux, il acquérait une stature internationale. Sa fonction lui interdit de prendre part à la vie politique française, mais ses apparitions dans l’Hexagone, soigneusement médiatisées par son équipe de communicants restée à Paris [^2], suffisaient à maintenir l’éventualité de son retour. Un retour entretenu par des sondages qui, régulièrement, le placent en tête des challengers de Nicolas Sarkozy, avec des scores qui, admet-il, « flattent [son] ego, mais relativisent aussi la portée de l’action politique : moins on parle, plus on vous aime ».

Les régionales ont changé la donne. Tant que le PS était empêtré dans ses querelles internes et plombé par son mauvais score aux européennes, DSK était « le » recours. Un nouveau Jacques Delors qui, lui, ne refuserait pas d’être le candidat des socialistes lorsqu’on l’appellerait. Sûr de sa bonne étoile, il avait appuyé la candidature de Martine Aubry à la tête du parti et avait orchestré les indiscrétions pour le faire savoir. La maire de Lille n’était pas une rivale. Elle l’est devenue en réussissant à remettre le PS au travail et en le conduisant à la victoire aux régionales. Désormais, le directeur général du FMI n’est plus seul en piste.

Sentant le danger, Dominique Strauss-Kahn s’active pour ne pas se faire oublier à Washington. Aux États-Unis, il déclare qu’il restera peut-être au FMI « des années et des années ». En France, il laisse filtrer dans la presse les petites phrases distillées à ses amis : « Je suis encore dans une phase de réflexion. Mais si on vous pose la question, dites que je réfléchis. » Ou laisse entendre lui-même qu’il pourrait écourter le mandat qu’il occupe jusqu’en ­novembre 2012 à la tête de l’organisation internationale, comme le 8 février sur RTL : « Si vous me demandez si, dans certaines circonstances, je pourrais me reposer [la] question [de mon retour], la réponse est oui. »
En pro de la com’, il soigne ses apparitions. Entre un voyage en Afrique et une visite à Bruxelles, il fait escale à Sarcelles, le 14 mars, pour voter aux régionales. Une équipe de Canal + et le Parisien montreront que décidément il ne se désintéresse pas de la politique française. Effet garanti. Peu après, il se laisse suivre par une signature du Point, qui consacre sa une au « trouble-fête » , le 1er avril.
Une manière de rappeler aux socialistes qu’il faudra compter avec lui. « Je me sens mieux préparé aujourd’hui que je ne l’étais en 2007 », glisse-t-il d’ailleurs.

DSK serait-il moins assuré de susciter le désir ? Doute-t-il de sa stratégie ? Au sein du PS, de manière autonome, ou en service commandé, ses soutiens se démènent pour rappeler la candidature de leur champion et faire pièce à la montée en puissance de Martine Aubry ainsi qu’aux velléités de François Hollande et d’autres. Une candidature qualifiée de « naturelle » par Pierre Moscovici. « Je n’en vois pas d’autre » , ajoutait-il, fin avril. Le sénateur-maire de Lyon, Gérard Collomb, farouche opposant à Martine Aubry, appelle l’exilé à se déclarer « assez vite » : « Si on aime la France et si l’on a envie de la réformer, il faut savoir abandonner les délices de Capoue. » Parallèlement, un appel à une candidature DSK en 2012, vantant sa « compétence économique », son « exigence sociale » et sa « crédibilité » internationale est lancé par François Patriat, le président du conseil régional de Bourgogne, avec le soutien d’autres élus intermédiaires. Quant à Michel Destot, le maire de Grenoble, il se vante de pouvoir « ramener à Dominique bon nombre de patrons du CAC 40 »…

Plus que dans le Parti socialiste, c’est sur le terrain médiatique que DSK est à l’offensive. Dans la foulée de « l’enquête » du Point , les journaux multiplient les sujets sur le patron du FMI que la crise grecque ramène en Europe. L’ancien ministre de l’Économie de Lionel Jospin est, selon un sondage [^3], le candidat du PS que préfèrent les leaders d’opinion. « Depuis longtemps », précise le Nouvel Observateur (6 mai). Et cela se voit : les sondages qui tous invariablement le présentent comme le superfavori de 2012 nourrissent les articles qui renforcent l’image que renvoient les sondages… Comme en 2006 – la vedette était alors Ségolène Royal –, l’entreprise de conditionnement de l’opinion est en marche.
Se fondant sur une nouvelle fuite opportune, Libération assure le 5 mai que le directeur général du FMI « s’est décidé » . Un livre présente même « le duel » DSK-Sarkozy, « les deux champions de la droite et de la gauche » , comme « plus que probable » [^4] Tout serait joué ? Sans doute pas. Mais les primaires qui désigneront le prochain candidat socialiste à l’Élysée n’ont de sens que « si l’on connaît à l’avance le nom du candidat qui en sort » a prévenu le député PS du Finistère, Jean-Jacques Urvoas, un fidèle de DSK. « Le candidat qui s’impose est toujours celui de l’opinion. »

C’est elle et non le PS que le candidat qui n’est pas encore candidat s’efforce de conquérir. Pour cela, il lui faut mettre en avant sa dimension internationale et faire oublier son image de chef d’orchestre planétaire des politiques d’austérité. Un exercice délicat dont DSK ne s’est pas très bien tiré la semaine dernière sur France 2. Même si l’on a surtout retenu son faux pas sur les retraites quand, prenant le contre-pied de la position du PS (voir page 18), il a appelé à ne pas faire de la retraite à 60 ans « un dogme » : « Si on arrive à vivre 100 ans, on ne va pas continuer à avoir la retraite à 60 ans, il va bien falloir que d’une manière ou d’une autre ça s’ajuste. » Seul Éric Woerth a applaudi.

[^2]: Autour de Stéphane Fouks, patron d’Euro-RSCG, cette équipe compte Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès et directeur des études chez Euro-RSCG, Anne Hommel, ancienne attachée de presse de DSK embauchée à Euro-RSCG où elle est chargée des relations de presse du FMI, donc de DSK, pour l’Afrique et l’Europe, et Ramzi Khiroun, porte-parole du groupe Lagardère et conseiller d’Arnaud Lagardère.

[^3]: Sondage BVA effectué par téléphone auprès de 399 leaders d’opinion du 8 mars au 9 avril.

[^4]: DSK-Sarkozy, le duel. Biographie comparative, Alexandre Kara et Philippe Martinat, Max Milo, 290 p., 18 euros..

Politique
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