Des compromis suicidaires

Jean-Louis Gueydon de Dives  • 10 juin 2010 abonné·es

Je voudrais revenir sur un événement récent survenu dans le monde du militantisme écologique : le début d’éclatement du Réseau Sortir du nucléaire (RSN) à la suite de l’opposition apparue fin 2009 entre deux tendances, celle de ceux qui sont prêts à accepter une certaine dose de nucléaire compte tenu de l’« urgence climatique », et celle de ceux qui souhaitent s’en tenir à une opposition radicale au nucléaire. Le conflit s’est cristallisé sur la participation très discutable du RSN à une requête adressée au président Sarkozy, lui demandant « de prendre la tête de la lutte contre le changement climatique » , oubliant de préciser que cette lutte devait se faire sans nucléaire… Tout cela ayant débouché sur la prise de pouvoir brutale des partisans de cette requête, accompagnée du licenciement du porte-parole du RSN et de la révocation de son conseil d’administration.
Il s’agit pourtant d’un réseau regroupant de nombreuses associations, ayant vocation à représenter l’opinion et les positions de l’ensemble de ses membres, et qui devrait donc avoir mis en place des procédures internes démocratiques…

Ce cas est illustratif d’une tension qui traverse beaucoup de mouvements écologistes ces temps-ci, entre les tenants d’une position « consensuelle » dans la relation avec les institutions publiques, qui pensent que l’opposition systématique est « contre-productive », et sont donc prêts à certains compromis ; et les tenants d’une radicalité sans faille, qui qualifieraient volontiers les premiers d’« écolo-traîtres »… Ces soubresauts affaiblissent les réseaux militants et font le jeu des lobbies qu’ils sont censés combattre, alors comment les éviter ? Sans doute, en premier lieu, par plus de démocratie interne : il n’est pas souhaitable qu’une poignée de militants puisse imposer ses orientations à la majorité et tente de passer en force. C’est non seulement déplorable sur le plan humain mais, de plus, décourageant pour les autres, et de nature à les inciter à se désintéresser du réseau, voire à le quitter pour créer un autre regroupement. Mais aussi par l’adoption de positions claires et cohérentes. Face à des institutions qui ne cessent de vouloir ménager la chèvre et le chou et faire semblant d’agir sans agir (voir les calamiteux résultats du Grenelle de l’environnement), mieux vaut ne pas baisser la garde et abandonner ses convictions les plus fondamentales au nom d’une efficacité douteuse. Car quelle crédibilité résiduelle aurait un RSN qui accepterait le nucléaire ?

Cette soumission d’une partie des militants aux intérêts des lobbies se développe néanmoins depuis quelques années. L’observatrice attentive des militants antinucléaires qu’est Anne Lauvergeon, qui dirige le géant du nucléaire Areva, ne s’y est pas trompée lorsqu’elle a déclaré à l’Assemblée nationale le 9 décembre 2009 : « Dans les années 1970, le mouvement écolo s’est développé à partir de sa lutte antinucléaire, mais je pense qu’une scission interviendra sous peu entre les écolos “canal historique”, qui resteront antinucléaires jusqu’à la fin des temps, et les écolos modernes, qui vont finir par reconnaître que le nucléaire fait partie des solutions. » Cette orientation d’une partie du mouvement écologiste est-elle légitime ? Qu’elle serve les intérêts électoraux des Verts ou d’Europe Écologie en leur permettant, grâce à des positions consensuelles, d’envisager plus facilement de participer à un gouvernement n’est pas une raison suffisante…

C’est au fond et surtout une question de conscience : peut-on « en conscience » accepter une certaine dose de nucléaire au nom de l’urgence climatique ? La réponse est évidente : si l’on est réellement « conscient » des conséquences du nucléaire au niveau des choix de société qu’il implique, et de l’absence de solution au problème des déchets, il n’est pas possible d’accepter le nucléaire, même à la marge, même du bout des lèvres, même au nom d’un impératif climatique qui lui serait supérieur. Tout le reste est inconscience, c’est-à-dire courte vue et irresponsabilité.

Écologie
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