Gaza : la colère de la rue

De nombreuses manifestations ont eu lieu lundi partout dans le monde, après l’assaut sanglant du commando israélien contre la flottille humanitaire.

Alain Lormon  et  Florence Chirié  • 3 juin 2010 abonné·es
Gaza : la colère de la rue
© PHOTO : SAMAD/AFP

Au lendemain de la proclamation de l’état de guerre en Pologne par Jaruzelski, notre ministre des Relations extérieures de l’époque – nous étions en 1981 – avait eu cette réaction restée célèbre : « Évidemment, nous ne ferons rien ! » C’était Claude Cheysson. Et c’était la vérité. Nos diplomates n’ont plus ce courage aujourd’hui. On a donc multiplié les mouvements de menton tout au long de la journée de lundi, à s’en démettre les mandibules. Mais à y regarder de plus près, et malgré des condamnations de pure forme, on était plus proche de l’absolution que du moindre début de sanction à l’encontre d’Israël au soir de l’assaut sanglant contre une flottille humanitaire au large de Gaza.
La première confirmation est venue de New York. Après douze heures de concertation, le Conseil de sécurité de l’ONU a demandé une enquête « indépendante ». Un désaccord entre la Turquie, rédactrice d’un projet de texte initial, et les États-Unis n’a pas permis la prise en charge de cette enquête par l’ONU. Ce qui réduit la résolution à bien peu de chose. Barack Obama souffle décidément le chaud et le froid avec Israël. Quelques jours après avoir rompu avec le veto traditionnel des États-Unis en approuvant un document final des Nations unies qui met l’État hébreu en difficulté sur la question nucléaire, le président américain – en tout cas son ambassadeur – a freiné pour épargner à Israël les affres d’une commission d’enquête de l’ONU.

En Europe, les condamnations sont aussi unanimes que formelles. L’Allemagne, l’Espagne, l’Irlande, la Belgique, la France et le Portugal ont jugé l’assaut « disproportionné » , selon une formule déjà employée au moment des bombardements sur Gaza, en décembre 2008-janvier 2009. Le mot a l’avantage de ne pas juger sur le fond. À Berlin, le porte-parole du gouvernement allemand, Ulrich Wilhelm, a affirmé que « les gouvernements allemands ont toujours reconnu le droit d’Israël à se défendre, mais ce droit doit être dans le cadre d’une réponse proportionnelle » . Malgré son apparente tiédeur, cette première réaction du ­gouvernement allemand est inhabituellement vive. Berlin, pour des raisons historiques, évitant le plus souvent de critiquer Israël.
De nombreux États européens et méditerranéens ont convoqué les ambassadeurs israéliens pour demander des explications. Quant à la mission israélienne auprès de l’Union européenne, elle a répliqué en dénonçant un événement à l’initiative « de militants anti-israéliens et d’éléments islamistes » . Selon le gouvernement de Benjamin Netanyahou, pour qui l’intervention de l’armée était « inévitable » . En Italie, le sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Alfredo Mantica, a estimé que la tentative de la flottille de rompre l’embargo israélien était de la « pure provocation avec un objectif politique précis […]. Penser que tout allait se passer sans une quelconque réaction israélienne était une interprétation ingénue de ceux qui ont provoqué cette affaire ».

Le ton était différent dans le monde arabo-musulman. La réaction la plus violente est venue de Turquie, pourtant alliée stratégique de l’État hébreu. L’ambassadeur de Turquie en Israël a été rappelé dans son pays. Le vice-Premier ministre turc, Bulent Arinç, a par ailleurs annoncé que des préparatifs pour des manœuvres militaires conjointes avec Israël avaient été annulés. Cette affaire « peut entraîner des conséquences irréparables sur nos relations bilatérales », a prévenu Ankara.

L’Égypte et le Qatar ont tous les deux appelés à lever le blocus sur Gaza. Dans une critique implicite de ses pairs arabes, l’émir du Qatar, cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani, a indiqué que le raid israélien « adresse aussi un message aux pays arabes, que ces hommes épris de liberté [les militants humanitaires] placent devant leurs responsabilités ».
En France, le conseil représentatif des institutions juives « déplore profondément » l’opération militaire israélienne jugeant que « ce n’est pas une bonne nouvelle pour la paix ». Les deux coprésidents du groupe Vert au Parlement européen, Daniel Cohn-Bendit et Rebecca Harms, ont considéré que l’attaque constitue « une violation grave des principes du droit international humanitaire » et ont réclamé la levée du blocus. L’eurodéputé communiste Patrick Le Hyaric a souhaité « la rupture immédiate » des relations avec Israël.

En Israël, un appel à la grève générale a été lancé lundi parmi les 1,3 million d’Arabes israéliens pour protester contre le raid meurtrier. Le Haut Comité de suivi des Arabes a également appelé à des manifestations. Plusieurs centaines d’Arabes israéliens n’ont pas attendu cet appel pour descendre lundi matin dans les rues de Nazareth, première ville arabe de l’État hébreu.
En France, comme dans de nombreuses capitales européennes (Stockholm, Londres, Sarajevo, Bruxelles, Copenhague, Oslo et Genève), plusieurs milliers de manifestants se sont retrouvés à Paris, à Lille et à Strasbourg.
Des manifestations ont également eu lieu au Maroc, en Jordanie, en Égypte, en Irak, en Iran, au Liban, à Gaza et en Turquie, où plus de 10 000 personnes étaient dans la rue, à Istanbul. À Amman, en Jordanie, les 2 000 manifestants ont réclamé aux autorités jordaniennes la fermeture de l’ambassade d’Israël et l’expulsion de l’ambassadeur. Le secrétaire général du Front d’action islamique (FAI), Mohammed Aqel, a demandé au gouvernement de « rompre les liens avec l’entité sioniste, qui a montré sa barbarie aujourd’hui » . En fait, comme on le voit, l’affaire de l’opération israélienne contre la flottille des humanitaires a accentué une double fracture. D’une part, entre les capitales occidentales et le monde arabo-musulman ; d’autre part, entre les États et les opinions publiques.

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