La pureté (des armes) dangereuse

Sébastien Fontenelle  • 10 juin 2010 abonné·es

«  La guerre, c’est la paix » , dit l’Angsoc dans 1984. Dans un registre un peu différent, il arrive que, dans la vraie vie, Bernard-Henri Lévy, alias BHL, le fameux romanquêteur, tienne – avec ses mots à lui et un (très) haut niveau de considération pour la réalité factuelle – des propos d’où ressort que certains guerriers, sous leur abord un peu râpeux, sont des amis de l’humanité.

Lorsqu’il évoque, par exemple, l’armée israélienne, immédiatement après qu’elle a lancé, la semaine dernière, son assaut meurtrier contre la flottille humanitaire à destination de Gaza, BHL, qui ne l’appelle, preuve d’affection, que par son petit nom, écrit [^2] que « le Tsahal » qu’il « connaît » est un « Tsahal économe en vies humaines et adepte de la pureté des armes »  : une « armée non seulement ultra-sophistiquée mais profondément démocratique ». (Et il ajoute qu’à son avis « on ne tardera pas à apprendre » que les hideux fanatiques « à l’origine de cette provocation » – l’envoi de vivres vers Gaza – « avaient de bonnes raisons de refuser, comme cela a été proposé, de faire escale au port israélien d’Ashdod afin que soit vérifié le contenu réel des cales du navire ^3 » . Sous-entendu : ça m’étonnerait peu, mâme Dupont, qu’on trouve quelques vieux Sukhoï-7 planqués sous le corned-beef [^4]).

Ce n’est pas du tout la première fois que l’armée israélienne pâme très fort BHL : en 2006, par exemple, quand ses artilleurs bombardaient le Liban, il les avait trouvés joyeux, sympathiques, déjà démocratiques – et mus surtout, c’était le plus touchant, par un constant souci d’ « évitement » des civil(e)s. Itou, en 2008, pendant que cette même armée déchaînait sur Gaza un même déluge de feu, il avait rencontré un « pilote d’hélicoptère Cobra » qui jugeait que « rien ne justifi(ait) la mort d’un enfant », et qui par conséquent « détourn(ait) son missile » , si un(e) inconscient(e) venait se jeter dans sa ligne de tir. Ah, le brave homme !

Dans la vraie vie, chacun(e) le sait, la merveilleuse armée israélienne, nonobstant ses précautions démocratiques, a tout de même fait au Liban, puis à Gaza, de conséquents hachis de civil(e)s – avec aussi des bouts d’enfants. De sorte que, à les considérer à l’aune des faits, les considérations de BHL pourraient presque paraître un peu obscènes
– exactement comme lorsqu’il soutient [^5] que les « points de contrôle » entre Israël et Gaza sont des endroits pleins de charme, où « les Israéliens qui officient » sont d’une exquise urbanité avec les Palestinien(ne)s, « qu’ils se gardent » bien « de confondre »   avec les dirigeants du Hamas, allons, allons, pas d’amalgame.
Mais les faits, n’est-ce pas ?, c’est bon pour les enquêteurs. Les philosophes, eux, sont très au-dessus de ça.

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[^2]: Le Point, 3 juin 2010.

[^3]: Idem 

[^4]: Cette prédiction s’est naturellement révélée fausse : caramba, encore raté.

[^5]: Libération, 7 juin 2010.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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