Pièce en noir et blanc

L’Allemand Michael Thalheimer met en scène « Combat de nègre
et de chiens » de Koltès. Des fulgurances,
mais aussi beaucoup
de lourdeurs.

Gilles Costaz  • 10 juin 2010 abonné·es

Quand fut créée la première grande pièce de Bernard-Marie Koltès, Combat de nègre et de chiens, dans une mise en scène inoubliable de Patrice Chéreau, les commentateurs se plurent à voir là une ressemblance avec le théâtre de Tennessee Williams. Or, c’est plutôt à Jean Genet qu’il fallait penser, à sa haine de l’« homme blanc » et à sa passion des opprimés du colonialisme. Quand, aujourd’hui, l’Allemand Michael Thalheimer monte la même pièce – courageusement, puisqu’il la monte en français, à la Colline –, c’est cet aspect-là qu’il met au premier plan. L’histoire est d’ailleurs celle de Blancs indifférents à la mort d’un Noir dans un chantier africain. Quand un proche de la victime vient réclamer le corps du disparu, ce sont deux civilisations qui s’affrontent derrière des discussions apparemment policées, mais révélatrices d’une indignité du camp européen et d’une dignité du monde opprimé.

En son temps, Chéreau avait fait construire un décor stupéfiant avec un pont d’autoroute surplombant un sol terreux. Thalheimer trace, lui, une passerelle rectangulaire qui domine un trou noir. Bel espace mystérieux où l’on peut avoir la berlue. Et c’est ce qui se passe. À la première minute, le personnage du chef de chantier reste longtemps muet, n’arrive pas à parler. Et l’homme noir est multiplié par dix ! Un acteur joue ce rôle, mais neuf autres comédiens de couleur démultiplient sa présence, en chœur fantomatique. Ils expriment à la fois la peur de l’être humain noir chez les Blancs et l’amour que lui porte Koltès. Comme, avec les deux Blancs, le chef et l’employé, il y a aussi une femme qui, elle, comprend les Africains, le metteur en scène fait maquiller à vue l’actrice pour que, noircie de la tête aux pieds, elle apparaisse comme une Blanche black.

Tout cela est un peu appuyé. L’interprétation est prosaïque, enlaidie, de style série B, pour casser la tradition de l’élégant jeu littéraire en usage en France quand il s’agit de Koltès (que ce soit chez Chéreau ou chez Jacques Nichet, qui avait fait, lui aussi, une belle mise en scène de la pièce). Charlie Nelson et Stefan Konarske campent des Français soiffards et obsédés sexuels tels qu’on les croque dans les BD. Cécile Coustillac injecte un maximum d’émotion dans le personnage travesti qu’on lui impose. Jean-Baptiste Anoumon échappe, lui, à toute caricature. Ce spectacle comporte quelques moments fulgurants, mais quelle lourdeur !

Culture
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