La robe et le petit écran

Selon Thierry Illouz, avocat, les fictions télévisées livrent une image spectaculaire et édulcorée de la justice, laissant de côté les enjeux politiques de l’institution.

Jean-Claude Renard  • 15 juillet 2010 abonné·es

Madame le Juge, Boulevard du palais, Alice Nevers, Le juge est une femme, les Cordier, juge et flic, Avocats et associés… À l’évidence, le petit écran s’est judiciarisé, à l’instar de la société. Le téléspectateur se passionne pour la robe, les petites et les grandes affaires, le fait divers. Et si la question de la représentation est naturellement au cœur de toute œuvre audiovisuelle, « l’écran de télévision est le siège privilégié des systèmes de médiatisation des enjeux socio-culturels, observe Thierry Illouz, avocat, spécialisé dans le droit pénal et social [^2]. Les séries sont nécessairement les vecteurs de ces formes de représentation. Il faut ­rendre compte d’une image avant de ­rendre compte d’une réalité. La représentation des avocats obéit logiquement à ces impératifs. Il existe probablement un continuum entre l’image que donnent à voir les séries, qu’elles soient américaines ou françaises, et la place qu’occupe aujourd’hui, ne serait-ce qu’au journal télévisé, le “procès” au sens général ». Un journal télé présenté comme une véritable compilation du barreau, de l’affaire Elf à Jérôme Kerviel, en passant par les bébés congelés de maman Courjault et le crime barbare d’un détenu. « Il y a là tous les travers du voyeurisme, poursuit Thierry Illouz, d es pulsions morbides et un glissement du politique au judiciaire, du social au judiciaire vu par le petit bout de la lorgnette, pratique pour éviter de poser les bonnes questions, sans doute, tout en inventant le mythe de la justice retrouvée, a fortiori dans la fiction. Il y a aussi ce qui pourrait s’énoncer comme une “mise en spectacle” de l’univers judiciaire ou de celui des affaires. »

Ce qui tend à progresser, dans ces systèmes de représentation, « se situerait dans une “héroïsation” de la figure de l’avocat par le biais d’un double mouvement. D’une part, un mouvement tourné vers la sphère privée de l’avocat, sa vie personnelle, intime, qui tendrait à en faire une figure proche du spectateur, une figure “normale”, en ce qu’elle est soumise à tous les aléas du sentiment, de l’erreur, de la faiblesse ». Tel est le cas de PerryMason à Ally McBeal , jusqu’à Cordier, juge et flic.

Ce qui permet de sortir d’un exercice fondé sur la force du verbe, parfois ésotérique, comme ­peuvent l’être les arcanes du droit, exprimé dans un cadre statique, du cabinet à la salle d’audience. « Le second mouvement est celui d’une représentation de l’univers professionnel sous le signe du conflit, du pouvoir, de l’argent. N’a-t-on pas là tous les éléments qui sont au cœur des “affaires” ? Des “affaires” qui défrayent la chronique et où le politique se trouve désigné, pointé sous l’angle de ses démêlés avec le pouvoir et l’argent, notamment, mais aussi sous l’angle de la vie privée. Cette vision, pour intéressante qu’elle soit, n’en demeure pas moins lacunaire. Elle ignore les enjeux précisément politiques de l’institution judiciaire, mais aussi la relégation sociale commune, et sans doute largement majoritaire, dont la justice est tant le témoin que l’acteur, et qui en fait le lieu de comparution non pas d’abord d’une classe particulièrement privilégiée, dont elle corrigerait les écarts, mais surtout d’une classe démunie dont elle ne peut que constater, voire amplifier, par sa vocation naturellement répressive, la faillite et l’abandon. »

[^2]: Il est également écrivain, auteur notamment de Quand un soldat (Fayard, 2001) ; J’ai tout (Buchet/Chastel, 2004) et Corps de police, pièce de théâtre qui sera présentée à l’automne prochain au théâtre de Stains.

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