Le steward qui ne voulait plus voler

Mimmo a travaillé près de treize ans pour une compagnie aérienne. Dégoûté de cette vie d’hôtels internationaux, il a finalement ouvert une librairie et vend des livres… de voyage.

Olivier Doubre  • 22 juillet 2010 abonné·es

À20 ans, issu d’une famille romaine modeste, Mimmo ne pensait pas devenir steward dans une grande compagnie aérienne. Sans emploi, il passe un jour devant le siège de celle-ci et entre, un peu par hasard, demander un dossier de candidature. Puis il suit les quelques mois de formation destinés aux futurs ­membres du « personnel navigant commercial ». La surprise est pour lui de taille lorsque, trois mois plus tard, il se retrouve en uniforme bleu à bord d’un ­long-courrier Rome-­Chicago. Nous sommes fin 1983 et son nouveau métier, pour lui qui a toujours voulu voyager mais n’a jamais quitté l’Italie faute de moyens, lui offre une « chance extraordinaire » de connaître le vaste monde.

Pourtant, il comprend vite que cet emploi ne saurait être pour lui que temporaire, tant il en déteste les conditions, « ce mélange disparate de commercial et de discipline militaire » , avec sa hiérarchie stricte, depuis le commandant de bord jusqu’à la dernière hôtesse. Il a pourtant aussi ses bons côtés : « Être toujours en mouvement, découvrir des endroits où l’on n’aurait jamais pensé aller, dont certains ont disparu de l’atlas touristique classique. » Il atterrit ainsi à Mogadiscio au moment où la guerre civile reprend, découvre Téhéran en pleine ère Khomeiny, ou séjourne, alors qu’Andropov vient de mourir, à Moscou dans le célèbre hôtel Cosmos. Cette bâtisse d’architecture post-stalinienne constitue le quartier général des étrangers dans cette URSS d’avant-Gorbatchev, où se mêlent diplomates, hommes d’affaires occidentaux et équipages des long-courriers, mais aussi prostituées russes et agents secrets soviétiques…

Après quelques années de cette vie d’escales, une « angoisse existentielle » le prend, à quoi s’ajoute une « lassitude de l’avion » . Servir des cafés et des plateaux-repas presque sans arrêt pendant huit heures de vol, pour ensuite s’arrêter seulement trois jours dans une ville au bout du monde, dans les sempiternels hôtels quatre étoiles, tous dotés des mêmes « standards internationaux » , a de quoi rendre fou. « Une des angoisses classiques du steward est de se réveiller à 3 heures du matin dans une chambre qui ressemble à toutes les autres et de ne plus savoir dans quelle ville il se trouve. Le steward se lève alors et cherche un indice, mais les journaux dans la ­chambre sont en anglais, Usa Today ou Herald Tribune, et la télévision diffuse des chaînes internationales ; rien ne lui permet de savoir où il est ! »
Observant les plus âgés de ses collègues hôtesses ou stewards, Mimmo se dit chaque jour qu’il doit trouver un moyen de quitter ce travail harassant.

D’année en année, il ressent toujours plus les effets physiques et psychologiques des centaines d’heures de vol : outre les troubles du sommeil dus aux décalages horaires et les ­microvibrations incessantes de l’appareil en vol, Mimmo souffre surtout de la pressurisation – il a souvent les jambes gonflées et lourdes. Les syndicats insistent d’ailleurs fréquemment sur le fait que l’espérance de vie des personnels navigants est inférieure de presque une dizaine d’années à celle de la population générale. Une catégorie qui connaît aussi un fort taux de suicide et une tendance assez prononcée à l’alcoolisme…
Mimmo décide donc de travailler à mi-temps et de reprendre des études. Il s’inscrit à l’université de Rome en lettres et se spécialise peu à peu dans… la littérature de voyage. Au bout de quelques années, il soutiendra une thèse de littérature comparée, principalement sur la littérature argentine, et publiera même un essai intitulé les Voyages et la littérature. Puis son goût des voyages et de l’écriture lui donne l’idée de créer une librairie spécialisée.

Il loue avec un ami d’enfance le petit local d’un ancien magasin de fruits et légumes dans le quartier de Campo de’ Fiori. Ils construisent eux-mêmes tout le mobilier nécessaire. Quelques semaines plus tard, ouvre à Rome la première Librairie du voyageur, sise – le hasard fait souvent bien les choses – via del Pelegrino, la « rue du Pèlerin » ! De congés sabbatiques en réductions d’horaires, Mimmo finit par démissionner de la compagnie aérienne qui l’employait depuis bientôt treize ans. Toujours passionné par les voyages – lorsqu’ils ne sont pas contraints et en uniforme –, il a aussi intégré progressivement les rédactions de plusieurs revues spécialisées dans le tourisme et publié un bon nombre de guides touristiques. Mimmo continue de voyager – le moins possible en avion ! Mais pour écrire, à présent.

Publié dans le dossier
Voyager sans avion
Temps de lecture : 4 minutes