Les papes et les monarques

À Avignon, la fantaisie légère d’un Avron et d’un Cadiot l’emporte sur les spectacles aux mises en scène massives.

Gilles Costaz  • 22 juillet 2010 abonné·es

Le festival d’Avignon selon Jean Vilar, aux allures nobles dans sa quête d’un public populaire, ne veut pas mourir. Il s’efface pourtant devant un théâtre plus cassé, rageur, cinglant, désespéré, qui est largement celui des créations européennes d’aujourd’hui. Mais cet esprit vilarien reste toujours en filigrane. C’était tout le sens de la présence de Philippe Avron, qui jouait au théâtre des Halles M ontaigne, Shakespeare, mon père et moi, un spectacle écrit par lui et dont il a partagé la mise en scène avec Alain Timar. Avron a été un acteur des spectacles de Vilar et de Benno Besson tout en composant avec son complice Claude Evrard un duo maître dans la facétie rêveuse. Puis il a le plus souvent continué seul, interprétant ses propres textes, où il mêle les souvenirs de théâtre et ses propres questions sur notre monde en mouvement.

Le temps a passé, mais le gamin facétieux qu’est éternellement Philippe Avron continue ses virevoltes entre la gravité du débat conceptuel et la mise en boîte clownesque de l’esprit de sérieux.
Il ne s’amuse plus à rire de Peter Brook ou de Robert Hossein, comme naguère. Il parcourt de plus en plus les mots de Montaigne et entremêle le récit de sa vie à la biographie de l’auteur des Essais. Il enfile un masque, l’enlève vite. Ce sont des gags discrets qui ponctuent une interrogation à voix haute sur le sens de la vie et la vérité de l’art, un cheminement admiratif parmi de grandes ombres qui reprennent un instant leur poids de réalité. Avron marche beaucoup sur la scène mais donne surtout l’impression de sauter de branche en branche, oiseau attrapant au vol ce qui fait le sel de la vie – et de la nôtre, car nous suivons à chaque seconde les bienveillantes et fortes moqueries de ce précieux personnage.
Dans le cadre symbolique du ­festival, la vaste Cour d’honneur du palais des Papes, l’on a eu droit à une tout autre pratique du théâtre. Au moment où nous bouclons cet article, les représentations de Richard II de Shakespeare, joué par Denis Podalydès, dans une mise en scène de Jean-Baptiste Sastre, n’avaient pas encore commencé. On y avait donné une dizaine de fois un autre type de facétie, Papperlapapp de Christoph Marthaler et Anna Viebrok, dont le premier est l’un des deux « artistes invités » du festival (c’est-à-dire conviés à réaliser tout ce qui leur passe par la tête).

À l’heure du bilan, cette laborieuse plaisanterie ne laissera pas beaucoup de traces dans l’histoire du festival. Elle prouve qu’aussi grand que soit un metteur en scène (et le Suisse Marthaler est un artiste important, à n’en pas douter), il n’est pas un auteur. Il a voulu rire du palais des Papes, ce qui était une très bonne idée (l’histoire théâtrale de cette extravagante papauté non-romaine reste à faire). Mais il a placé la satire du côté de la visite touristique. Mené par un guide aveugle, un groupe de visiteurs entre dans un palais dénaturé par l’appareillage moderne mais se distrait en s’allongeant sur les tombes de gisants, tandis qu’un certain nombre d’événements vient régulièrement les prendre de court. Étirée selon le principe erroné que les gags les plus lents sont les meilleurs, la soirée piétine, trop sûre de son savoir-faire.

Heureusement que le second artiste invité, Olivier Cadiot, n’entre pas dans la colonne des déceptions. Au même titre que l’Espagnole Angelica Liddell, qui a bouleversé les festivaliers avec la Casa de la fuerza , et de l’Allemand Falk Richter, féroce dénonciateur du système économique où nous vivons, Cadiot aura donné un souffle nécessaire à un festival qui, sans ces quelques poètes, aurait tendance à tout mettre dans les mains de metteurs en scène au style un peu trop massif. Cadiot peut dérouter par l’agilité de ses récits, qui passent à une vitesse folle d’une formule à une autre, d’une idée à l’autre. Son metteur en scène, Ludovic Lagarde, est là pour donner chair et mouvement à cette littérature très personnelle dont on ne sait pas toujours si elle est un continuel tohu-bohu ou un surplace sans cesse bousculé de l’intérieur.

Un nid pour quoi faire, qu’on pourra revoir la saison prochaine à la Comédie de Reims et en tournée, imagine qu’un roi part à la montagne avec toute une bande de conseillers pour réfléchir à l’image qu’il peut donner de lui-même. Le sujet est classique : le monarque est entouré de ses courtisans qui veulent obtenir ses faveurs. Mais le thème est renouvelé, puisqu’il y a au centre l’idée de communication. Du moins le croit-on, mais l’évolution de la situation mènera les protagonistes loin de cette préoccupation. Un peu incertain au départ et aplati par l’utilisation (heureusement non continue) d’une sonorisation qui égalise les voix, le spectacle ne tarde pas à trouver sa vitesse de croisière, sa folie, sa fantaisie, sa beauté. Dans une mise en scène inventive et harmonieuse de Lagarde, les acteurs, avec, au premier plan, Laurent Poitrenaux, mais aussi Pierre Baux, Valérie Dashwood, Ruth Marcelin, Guillaume Girard, Christèle Tual notamment, sont à chaque instant dans une dimension d’étrangeté plaisante et grave.

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