Nous autres, gens du voyage…

Alexandre Romanès  • 22 juillet 2010 abonné·es

Nous savons qu’il y a deux cents ans, nous étions en Roumanie. Puis nous sommes passés par la Serbie, l’Italie, la Belgique et la France. On est arrivés en France avant la Première Guerre mondiale. Et, chaque fois, on a pris un nom du pays. Si on remonte plus loin dans le temps, nos ancêtres viennent du nord de l’Inde. On peut penser qu’ils ont suivi la route de la soie. Ce qui explique que l’on puisse rencontrer de nombreux Gitans aujourd’hui encore à Samarkand, en Ouzbékistan. Mais, quels que soient les pays et les époques, on est toujours des montreurs d’ours. Nous appartenons à la tribu des Sintés, mais nous sommes des « oursaris ». C’est l’une des tribus les plus miséreuses.

Ma femme, Délia, au contraire, vient d’une tribu plus aisée, les Lovaris. Ils travaillaient l’or et possédaient des chevaux. Un jour, à la fin d’un spectacle, j’expliquais que nous étions de tribus différentes, Délia et moi, et j’ai ajouté que les Lovaris sont parfois « un peu voleurs de chevaux » ; et ma femme a renchéri : « Les Sintés, eux, sont voleurs tout court. » Autrement dit, on n’est pas de la même tribu, mais on a les mêmes défauts.

En fait, nous autres, Tsiganes, avons raté le tournant du début du XXe siècle. Jusque-là, on vivait plutôt bien. On était dans les campagnes et dans les bois, et on travaillait les couteaux et les épées. On avait de très belles lames, et on faisait le commerce des chevaux. À partir du moment où les guerres se sont modernisées, où les armes blanches et les chevaux ont perdu de leur importance, nous nous sommes appauvris et nous avons fui vers les villes. Auparavant, on était très mobiles. Nous avions des caravanes généralement peintes en vert, et à la moindre alerte on levait le campement, on allait plus loin. Dans les faubourgs des villes, c’est plus compliqué. Mais, de tout temps, on a été traqués. Louis XIV, déjà, avait levé une armée pour exterminer les Tsiganes (à la suite de « la déclaration du roi contre les Bohèmes, en 1682 ») qui résidaient dans l’est de la France. Mais les Tsiganes se déplaçaient si vite que jamais son armée n’a réussi à les trouver.

Aujourd’hui, les Gitans sont partagés entre un impératif d’intégration et une volonté de conserver la tradition. On voit facilement le choix que font les uns et les autres. Nous sommes une société matriarcale. Ce sont les femmes qui donnent le signal de nos évolutions. Quand on voit des femmes gitanes qui commencent à raccourcir leurs jupes ou à porter le pantalon, on peut en conclure que la communauté a choisi l’intégration.
Les hommes et les enfants vont suivre. Si les femmes continuent de porter des jupes longues, c’est qu’il y a une volonté de demeurer dans la tradition.

Propos recueillis par _Denis Sieffiert

Publié dans le dossier
Voyager sans avion
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