On ne perd pas son temps, on le prend !

L’avion n’a pas tué le voyage en bateau. Le transport en cargo de la marine marchande, lent et soumis aux contingences, connaît un engouement nouveau.

Patrick Piro  • 22 juillet 2010 abonné·es

On part un jour du Havre, quand le cargo est prêt. Il touchera Bilbao, Casablanca, Dakar, parfois Banjul et Conakry, Freetown, Rio, Santos, Zarate, Montevideo. On peut choisir de ne pas lâcher son bateau : retour au Havre cinquante-huit jours après.

Dates sujettes à modifications impromptues, durée du périple variable, liste des escales non garantie : un pur rêve de voyageur. Blaise Cendrars, aventurier et écrivain, s’en délectera sur de longues pages. Marin et acteur, Bernard Giraudeau rapporte à ­l’encre ce que sa construction doit aux coques. Le romancier Brian Stanley Johnson monte à bord d’un chalutier pour la mer de Barents, histoire de mettre en pages ce qu’il a dans le ventre – ça marche : il écrit entre deux vomissements.
Même pas mort, le bateau ! Depuis une décennie, ça frémit, les candidats s’enthousiasment. Attention, pas pour le paquebot, pas pour ces croisières Club Med à trois mille sur une ville flottante artificielle : ils cherchent de la marine de marins, un cargo – porte-conteneurs, vraquier, bananier, « ro-ro », grumier, tanker, etc. Le fret ménage une petite place à une douzaine de cabines, c’est lui qui commande : quand on part, où l’on s’arrête, durant sept ou trente-huit heures.

Mais qu’aller faire sur ces galères ? Rien, ou plutôt bien autre chose que d’habitude. Vu d’avion, le cargo est une perte de temps – Buenos Aires en 17 jours plutôt qu’en 11 heures. Vu de cargo, l’avion aussi est une perte de temps : celui qu’on ne prend plus pour soi. Le bateau, en l’espèce, ne sert qu’accessoirement à rallier une destination – c’est bon pour le fret. Le passager voyage, lui. Et en lui-même, il l’a bien choisi, mis à plat par l’horizon, étale ou brassé, aux prises avec le vieux mythe de l’appel du large. Lire, dessiner, écrire, contempler, peu de CO2 émis, et « ça capte pas » : un monde, que l’on croyait perdu !

En pratique : compter environ 100 euros par jour, tout compris. Consulter Mer et voyages, agence spécialisée, le site de la marine marchande, seaplus.com (en anglais, ça tombe bien, c’est la langue de la marine marchande).

Publié dans le dossier
Voyager sans avion
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