Pour la Sibérie, tournez en Ardèche

Les États généraux du film documentaire de Lussas proposent une Route du doc en Russie. Plusieurs voyages s’y croisent : ceux du programmateur et ceux des spectateurs.

Ingrid Merckx  • 22 juillet 2010 abonné·es

Les spectateurs de Lussas font rarement la Route du doc en entier. Non qu’elle soit hors de portée : ce GR20 du documentaire est prisé des cinéphiles qui arpentent le village ardéchois chaque mois d’août. C’est plutôt que les États généraux du film documentaire proposent plusieurs itinéraires. « Ceux qui ­suivent la Route du doc voient peut-être 5 ou 6 films » , estime Christophe Postic, codirecteur artistique du festival. Sur 15. C’est dire le décalage entre le regard du ­programmateur et celui du spectateur sur cette sélection. Pas le même panorama.

Après une traversée de la République tchèque et de la Slovaquie (2008) puis de la Pologne (2009), les États généraux embarquent du 22 au 28 août pour la Russie. Démarrage avec Ladoni, ode d’Artur Aristakisyan (1993) sur des mendiants en Moldavie. Le deuxième film projeté, Territoire de l’amour, est d’Alexandre Kouznetsov, un photographe qui suivait la tournée musicale d’une troupe d’un institut psychiatrique de la région de Krasnoïarsk quand il a réalisé qu’un tel sujet nécessitait une bande-son et du mouvement… Deux étapes sont prévues avec des films du Kinoteatr.doc, studio moscovite dévoué à un cinéma direct urbain : Freedom de Natalia Meschaninova, sur des jeunes hommes qui font leurs classes, et Arrhythmia de Sveta Strelnikova, où un médecin payé des clopinettes s’improvise organisateur de soirées. Autre étape, celle du VGIK, la grande école de cinéma russe, avec Blue Sky, Dark Bread d’Ilya Tomashevich, film classique mais lumineux sur la moisson, et le Saut de Taisia Reshetnikova, regard glaçant sur l’avortement. « La rue, l’hôpital : le documentaire permet des incursions dans des endroits où le spectateur a peu envie de se hasarder… »

La Route du doc 2010 est elle-même le fruit de deux voyages. L’un à travers les festivals pour découvrir les derniers films. ­L’autre en Sibérie, à l’occasion d’ateliers d’écriture lancés avec Ardèche Images, l’association qui organise les États généraux et qui a fondé sa propre école documentaire voici vingt ans. « L’état des lieux concernant le documentaire est inquiétant en Russie. Sorti de Moscou et de Saint-Pétersbourg, c’est très difficile. » Dur de trouver des équipes et des studios de montage, idem pour la production et la diffusion. D’où l’idée de faire émerger des « talents cachés ou empêchés » , et d’aider un nouveau réseau de production à se construire. Pourquoi en Sibérie ? La cinéaste Hélène Chatelain (Nestor Makhno, paysan d’Ukraine, Goulag) y avait des contacts, notamment avec le centre de recherche en sciences sociales d’Irkoutsk. « Et puis la Sibérie, c’est loin du pouvoir » , souligne Christophe Postic pour ponctuer le récit de leurs expéditions dans cette « petite ville fermée » de Krasnoïarsk, où ces ateliers ont élu domicile. Et où naissent, trois semaines par an, des discussions et des exercices de cinéma avec des participants de tous horizons… Territoire de l’amour est un des premiers films à aboutir. « Cette Route du doc ne raconte pas forcément la Russie contemporaine mais elle dit quelque chose de son cinéma documentaire » . De sa difficulté à exister, mais aussi à regarder son histoire récente. « Quand je m’immerge dans ce pays, je comprends quelque chose , glisse Christophe Postic. Ces films témoignent aussi de cela : le déplacement d’un regard. »

Publié dans le dossier
Voyager sans avion
Temps de lecture : 3 minutes