Un café et l’évasion, s’il vous plaît

Toutes les trajectoires se croisent dans une gare. Celles du banlieusard, de l’homme d’affaires, de l’ouvrier, du vacancier… Le meilleur des observatoires du lieu : le comptoir de bistro.

Julien Badaud  • 22 juillet 2010 abonné·es

Gare de l’Est, Paris, un matin de juillet, 10 heures. Les voyageurs s’amassent et le hall se remplit. Derrière son comptoir, le garçon de café s’agite. Les commandes fusent en fonction des allées et venues. Le rythme est soutenu, mais son travail lui semble plus agréable. Les mines ensoleillées ont remplacé les teints gris de l’année. Entre bonjours et boutades, le travail ne se limite pas à servir des rafraîchissements. Malgré la chaleur, les clients cherchent autre chose qu’une ambiance glacée. Cocktails de rencontres, d’anecdotes, d’impressions, de confidences : c’est chez lui que se ­croisent tous les itinéraires. Les jeunes militaires qui, avant le retour à leur caserne strasbourgeoise, partagent une dernière bière. La famille en partance pour la Lorraine qui s’achète de quoi grignoter, car « dans le train, c’est trop cher » .
L’homme d’affaires pressé qui, quelques minutes avant son départ pour Zurich, commande un plat chaud à emporter. Le touriste allemand qui ne parle pas un mot de français. Les agents SNCF en escale entre la Suisse et l’Angleterre qui, autour d’un verre, viennent se retrouver…

Le garçon de café est souvent la première personne avec qui le voyageur échange, dès son arrivée. Ou la dernière qu’il croise avant de rentrer. On aime alors lui raconter d’où l’on vient et ce qu’on a visité. On aime aussi comparer, en lui disant « Vous, les Parisiens » , comme si le ­garçon de café représentait à lui seul la capitale entière.

Il y a aussi les visages familiers, qui ­viennent se désaltérer des nouvelles fraîches et des dernières brèves du quartier. Les habitués qui, toujours aux mêmes places, ­plaisantent autour de la même tournée. Le banlieusard qui vient faire la monnaie pour son ticket. Le Parisien impatient et son café, le mendiant et son verre d’eau « bien frais, siou plaît ! »

Sans jamais quitter le zinc, le serveur voit défiler toute la société. Tour à tour, il croise le boulanger, l’ouvrier, l’infirmière et le retraité. Ni télé, ni journaux, c’est avec eux qu’il apprend l’actualité. Dans tous les cas, il n’y aura pas de vacances pour le garçon de café. Il passera les siennes à regarder celles des autres défiler. Mais c’est à chaque fois un bout de voyage partagé. Un moment de brève évasion, même si son wagon reste à quai.

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Voyager sans avion
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