« Point Oméga », de Don DeLillo : Regarder pour voir

Don DeLillo requiert,
avec « Point Omega »,
la capacité du lecteur
à s’impliquer
dans une œuvre.

Christophe Kantcheff  • 26 août 2010 abonné·es

Point Omega, du grand Don DeLillo, met en relation deux récits qui, a priori, n’ont presque rien à voir entre eux. Le premier ­montre un homme fasciné par ­l’œuvre d’un artiste contemporain, Douglas Gordon, intitulée 24 Hour Psycho, qui étire sur 24 heures la projection du célèbre film d’Hitchcock, Psycho (Psychose) . L’homme passe des heures en contemplation dans la salle du Musée d’art moderne, à New York, où l’œuvre est exposée. Le deuxième récit met face à face un jeune réalisateur, Jim, et un vieil homme, Richard Elster, un universitaire qui a travaillé pendant deux ans au Pentagone comme conseiller auprès des militaires. Le premier désire faire un film avec le second, pour l’écouter raconter cette expérience, le laisser parler sans contraintes, devant un simple mur nu.

Il est vrai qu’Elster est un homme qui parle. Il n’a fait que cela toute sa vie, devant des étudiants, jamais contredit. Sur la terrasse de la maison du vieil homme, en plein désert, Jim l’écoute disserter, tenant des discours aux allures philosophiques à tendance mystique, notamment sur l’ « extinction » et l’ « inorganique » , lui qui a été au service des militaires au moment où ils préparaient la guerre d’Irak. Ce grand parleur, bien évidemment misanthrope, « faisait observer que les mots n’étaient pas nécessaires à l’expérience de la vie véritable » . Un personnage pas forcément sympathique, mais dont on sent en revanche le dénuement devant le mystère que représente sa fille de 25 ans, qui vient les visiter, puis le total désarroi quand celle-ci disparaît sans laisser de trace.

Seul point de rencontre narratif entre les deux histoires : le jeune réalisateur a un jour entraîné Elster au musée voir 24 Hour Psycho, alors que l’homme du premier récit s’y trouvait. Ils ne sont restés que quelques minutes, Elster éprouvant un sentiment de rejet envers l’œuvre. Le fait n’est pas anecdotique tant les contrastes sont forts entre les deux situations : sur la parole, le silence, le fait de véritablement voir ce que l’on regarde, la difficulté d’entrer en soi pour percevoir, ou l’opposition entre documentaire (2 4 Hour Psycho fonctionne comme un documentaire sur Psycho ) et fiction (le film « brut » auquel songe le réalisateur serait entièrement factice)… Mais il serait présomptueux d’imaginer que ces quelques oppositions épuisent le sens de Point Omega. À la manière de 24 Hour Psycho, le roman de Don DeLillo est une installation littéraire, qui sollicite le lecteur et sa capacité à s’impliquer dans une œuvre. C’est là incontestablement le pari de ce roman fort et intriguant.

Culture
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