La Cnil a un coup de mou

Christine Tréguier  • 30 septembre 2010 abonné·es

Mémorable audition que celle du président de la Cnil devant la commission des Affaires économiques de l’Assemblée le 14 septembre. « Je suis inquiet, pessimiste même » , « Nous sommes absolument dépassés… » « Bientôt, on regrettera l’époque des Big Brothers. » Diable, la situation est donc si grave ? Elle l’est, en effet, et d’autant plus qu’Alex Turk a confessé son impuissance.

– Impuissance à faire appliquer le droit, déjà insuffisant, aux entreprises datavores, comme les prestataires de services géolocalisés, les hotlines et les grands acteurs d’Internet (Google et consorts). Parce que ces multinationales ignorent les frontières, délocalisent nombre de données vers des pays qui les protègent moins ou ne les protègent pas du tout, et parce les lois, elles, ne sont pas transfrontières.
– Impuissance à endiguer les transferts anarchiques des données françaises et européennes (données passagers, policières, bancaires, etc.) vers des États-Unis qui se sont engagés à respecter les maigres garde-fous posés par Bruxelles (type Safe Harbor), mais n’en font rien.

– Impuissance à résister au forcing des instances commerciales américaines qui besognent dur depuis deux ans pour imposer à l’Europe des normes abaissant le niveau de protection de la vie privée. Les contradicteurs se voient opposer l’argument imparable de l’entrave au commerce. Le Groupe 29 (groupe des Cnil européennes), qui plaide pour un relèvement des normes, bataille ferme pour exiger son strapontin consultatif et être ne serait-ce qu’informé de la teneur de l’offensive menée par les États-Unis avec le soutien de l’OCDE et du Groupe ISO (Organisation internationale de normalisation).

– Impuissance, enfin, à endiguer le « déferlement des technologies » intrusives, comme la biométrie, la géolocalisation, la vidéosurveillance et les nanotechnologies, dont le président de la Cnil dit pis que pendre. « Je n’ai rien à cacher, mais je revendique le droit qu’on me fiche la paix ! », s’est exclamé le citoyen Turk.

M. Turk, on vous reçoit 5 sur 5. On pense comme vous que la Cnil n’est que « le prestataire du Parlement », qui doit légiférer fissa. Là où on diverge, c’est qu’on aimerait bien que la Cnil ne se limite pas à un rôle d’alerte. Qu’elle n’attende pas des lois mais les propose. Surtout qu’en tant que sénateur vous êtes bien placé. Qu’elle ne se contente pas de dire aux parlementaires de « prendre les choses en main » , mais qu’elle les tanne jusqu’à ce qu’ils le fassent. Comme en Allemagne, où un projet de loi est à l’étude pour limiter les nuisances des réseaux sociaux ou de Google Street View. Qu’elle ne s’arrête pas au peu de pouvoirs que l’État lui a laissés, et qu’elle lance le même cri d’alarme sur le « déferlement » de fichiers publics et les transferts et croisements de plus en plus inquiétants de nos données à l’école, à la CAF, à Pôle emploi, partout. Et on ne vous parle même pas des fichiers de police secrets, de ceux non déclarés, des expérimentations qui se font parfois à votre insu et que vous devez avaliser a posteriori. Ce qu’on aimerait, c’est que la Cnil n’accepte pas que, comme vous le dites, « 90 % de [ses] activités so[ie]nt désormais tournées vers le secteur privé ». Qu’elle s’invite, par exemple, à la commission des Lois, la seule qui s’occupe
(paraît-il) de nos libertés.

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