Les larmes du fantôme

Claire Ruppli propose
une belle transposition d’un livre de Sylvie Germain, « la Pleurante des rues de Prague ».

Gilles Costaz  • 2 septembre 2010 abonné·es

La saison théâtrale démarre dans un grand concert de vedettes et de spectacles fous. Patrick Bruel ici, Bertrand Blier là, une pièce d’une durée de onze heures et demie en un fronton subventionné… Du calme ! Pour le plus simple, le plus fort et le plus court, on peut prendre le chemin de la Pleurante des rues de Prague aux Déchargeurs. Une petite salle, une seule actrice, une heure dix dans un éclairage plutôt obscur. De quoi fuir si l’on n’aime que les paillettes. De quoi être transporté si l’on sait voir et entendre la richesse dans la pauvreté et la nudité.

Cette Pleurante , à laquelle on avait pu assister l’an dernier au théâtre des Halles d’Avignon, est d’abord un livre de Sylvie Germain qu’on est heureux de voir sauter de la page imprimée à la scène, comme l’héroïne, selon les mots de la romancière, sort d’un livre pour prendre forme dans les nuits de la capitale tchèque.

Le roman suit les apparitions de ce personnage étrange, qui n’est fait que de larmes. C’est pourtant une géante mal vêtue, qui marche en boitant. Elle surgit, spectrale, porteuse de beaucoup de fantômes. Elle réveille le souvenir des persécutés, des assassinés, des victimes que l’histoire n’a pas tout à fait oubliées, comme les enfants de Terezin, et des anonymes du passé praguois. Elle leur redonne une nouvelle vie et parle en silence aux vivants. Il y a, centrale aussi, la mémoire de Bruno Schulz, l’écrivain qui a écrit des milliers de lettres que l’on sait brûlées ou sauvegardées dans différentes maisons de la ville. La pleurante émeut et apaise ceux qui l’aperçoivent, mais elle peut s’en aller longtemps, ne plus revenir, hanter une autre cité…
Claire Ruppli endosse ce très beau conte moderne de la géante à partir du contraste qui s’établit entre ce personnage légendaire et sa propre nature de femme de taille modeste. Dans un imperméable mastic et sous des éclairages blafards, elle est la petite femme, l’enfant presque, qui cherche la géante. Elle est l’interprète du livre mais pas du personnage. De la géante elle est témoin. Le témoin de l’invisible ! Le reflet dans le miroitement des mots, des murailles, des heures et des ombres.
La voix de Claire Ruppli sait faire sonner et chanter la texture vibrante du récit. Avec rien – du noir, du gris, de l’estompe, de la clarté, l’absence de tout décor, des pas furtifs – elle donne une évidente vérité théâtrale à ce moment qui pourrait n’être que littéraire.

Culture
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