Quand le travail ruine la santé

Les maladies professionnelles, physiques et psychiques, sont en augmentation. Mais il est bien difficile pour les salariés de les faire reconnaître comme telles. Attention : travailler tue…

Thierry Brun  • 2 septembre 2010 abonné·es

Denise s’en sort plutôt bien, du moins dans la version présentée par le gouvernement. À 56 ans, cette manutentionnaire dans une usine fabriquant des équipements automobiles souffre, « à la suite de ports répétés de charges lourdes » , de raideurs de l’épaule et de sciatique chronique. Le ministère du Travail ajoute que ces pathologies «  ont été reconnues comme maladies professionnelles à un taux supérieur à 20 %. Elle a été reclassée dans un emploi de bureau. Compte tenu du relèvement de l’âge légal à 62 ans en 2018, elle aurait dû partir à 61 ans et 4 mois. Mais grâce à la mise en place du dispositif “pénibilité”, elle pourra toujours prendre sa retraite à 60 ans, en 2014 ».

Cet exemple, puisé dans le « dispositif de prévention et de compensation de la pénibilité », est censé illustrer la nouvelle mesure prévue dans le projet de réforme des retraites. Pour Éric Woerth, ce « nouveau droit » « offert aux salariés » concernera une dizaine de milliers de personnes par an. Il néglige cependant bien des aspects de la vie de salariés confrontés à la pénibilité de leur travail, explique la Fnath, association des accidentés de la vie, qui rapporte le sort tragique de Dominique L., 61 ans, décédé le 29 juin à Paris. « Il est parti l’année dernière à la retraite, témoigne la Fnath. Ses médecins lui ont diagnostiqué un mésothéliome  [cancer des poumons] début mai en raison de son activité dans le bâtiment il y a trente ans. Une telle situation ne sera pas prise en compte dans le dispositif pénibilité du gouvernement. En effet, les expositions à des produits cancérogènes ne sont pas intégrées. De tels travailleurs seront donc amenés à prendre leur retraite à 62 ans. Si toutefois ils arrivent à cet âge. »

C’est le cas de Gérard G., 59 ans, ouvrier menuisier victime d’un cancer de l’ethmoïde, diagnostiqué le 30 mars 2007. « Il est opéré des sinus le 16 avril 2007 et suit une radiothérapie. Mais il est licencié pour inaptitude mi-2009. Avec un taux d’incapacité permanente partielle de 16 %, il touche une rente de 580 euros par trimestre » , souligne la Fnath, qui cite aussi l’exemple d’une ouvrière dans l’arboriculture, Marine R., 54 ans, qui a travaillé trente-quatre ans dans la même entreprise (cueillette et chargement de palettes) et n’entrera pas dans les clous de la réforme des retraites. « Les gestes répétitifs et les cadences ont entraîné des tendinites aux deux épaules et une épicondylite au coude gauche. Pas de possibilité de reclassement dans l’entreprise, elle subit un licenciement en 2008 pour inaptitude. Elle est restée au chômage pendant deux ans, et son taux d’incapacité permanente partielle est fixé à 17 %. »

La liste pourrait s’allonger indéfiniment. Car partir à la retraite à 60 ans est un horizon « inatteignable pour des centaines de milliers de personnes » , estiment Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fnath, et François Desriaux, porte-parole de l’Association nationale des victimes de l’amiante (Andeva) [^2]. « Les conditions de travail se sont considérablement dégradées ces dernières années. L’intensification du travail et la productivité à tout prix entraînent stress et souffrance au travail » , souligne Daniel Métrich, responsable syndical à la Fédération générale des transports et de l’équipement CFDT [^3].

Le bilan 2009 livré récemment par l’assurance-maladie est révélateur : une augmentation de 9 % des maladies professionnelles, qui sont aussi psychiques, et des troubles musculo-squelettiques (TMS) a été enregistrée. Le bilan frôle 50 000 salariés atteints par les maladies professionnelles en une année, dont plus de 80 % souffrent de TMS. Depuis dix ans, le ­nombre de victimes a crû de plus de 13 % par an en moyenne. Il faut ajouter à cela les nouveaux cas de cancers professionnels, qui concernent entre 11 000 et 23 000 personnes par an, selon les données de l’Institut national du cancer.
Pour Éric Beynel, membre d’une commission sur le travail à l’Union syndicale Solidaires, « les nouvelles méthodes de management provoquent les mêmes contraintes de rythme dans tous les milieux professionnels ». Les syndicats soulignent les effets dévastateurs du travail de nuit, et des horaires décalés ou alternés. La sous-traitance, devenue le principal outil de gestion du travail, selon Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l’Inserm [^4], a elle aussi des effets délétères. Les dernières enquêtes européennes sur les conditions de travail indiquent que les travailleurs « flexibles » (intérimaires, sous-traitants) sont les plus exposés à un cumul de risques et de contraintes mettant en jeu leur santé.
Les médecins du travail du collectif ­« Sauvons la médecine du travail » estiment qu’en l’état le dispositif défendu par Éric Woerth augmentera «  les pathologies du travail non déclarées et non reconnues, qui viendront peser sur les finances de la branche maladie » . Et concluent par cette phrase lapidaire : « Éric Woerth se moque autant de la prévention que de la pénibilité. »

[^2]: Dans une tribune publiée dans les Échos du 23 août.

[^3]: FGTE Magazine, n° 49, juin 2010.

[^4]: Revue du syndicat national des professionnels de la santé au travail, n° 1, mai 2008.

Publié dans le dossier
La gauche face à ses responsabilités
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