Une semaine décisive

Denis Sieffert  • 2 septembre 2010 abonné·es

Depuis plusieurs semaines, la droite française connaît une crise qui n’a guère eu d’équivalent depuis 1934. Une crise politique et morale qui mine le pouvoir et l’autorité de son principal chef. Mais cette crise a une caractéristique : elle ne traduit pas un rapport de force défavorable à la droite. Ce n’est pas l’offensive d’une opposition résolue qui a affaibli le président de la République. Comme il fut le principal acteur de son succès, Nicolas Sarkozy est bien aujourd’hui l’unique responsable de son déclin. C’est qu’il a transgressé une règle implicite de notre vie politique. En système capitaliste, nous sommes tous invités à croire la fable selon laquelle l’État serait le représentant des intérêts généraux. Un arbitre, neutre dans le conflit social. Ce qui n’est évidemment jamais vrai. Au fond, chacun sait que l’État, même républicain, est toujours l’avocat d’intérêts économiques qui s’identifient étroitement au système. Mais les apparences doivent être sauves. Et on se doit de préserver une part au moins de cette fonction arbitrale.

La réussite du gaullisme a, en grande partie, reposé sur le respect de cette règle non écrite. La fable d’un État au-dessus des intérêts particuliers, soucieux des équilibres entre les classes sociales, n’a jamais aussi bien fonctionné qu’au début des années 1960. Elle n’en demeurait pas moins une fable. Bon an mal an, celle-ci a été entretenue par les successeurs du Général. C’est ce mythe qui vole en éclats aujourd’hui. On ne sait plus guère distinguer entre l’État et son chef, le gouvernement et le parti présidentiel. Trop d’adhésion grossière aux thèses du Front national et trop d’identification aux intérêts du Medef ont fini par mettre en évidence un État clanique impliqué sans retenue dans la guerre sociale.
L’affaiblissement politique du régime n’est donc en rien la conséquence d’une remontée idéologique des idées de la gauche. Il ne résulte pas de la parution d’un projet concurrent qui séduirait nos concitoyens. À gauche, ceux qui ont des idées sont encore inaudibles pour le plus grand nombre. Et ceux que l’on entend n’ont rien à dire. C’est la nette impression que l’on retire de ces universités d’été. Ce sont les associations, les défenseurs des droits de l’homme, voire les Églises, qui mènent la critique sociale et morale. C’est la presse qui révèle, dénonce et démontre. Et on a beau lire et relire le discours de Martine Aubry à La Rochelle, on ne voit pas les moindres contours d’une alternative politique. Dans le domaine de la santé, l’un des plus attaqués par le gouvernement, le concept de « care » développé par la Première secrétaire paraît bien confus. Il se présente comme une notion essentiellement individuelle et moralisatrice quand il faudrait résister sur le terrain collectif. Dans le meilleur des cas, il est incompréhensible. Dans le pire, il s’agit d’un rideau de fumée qui cache une adhésion inavouable à la politique actuelle. Y compris dans le dossier des retraites. La réplique – si l’on ose dire – à la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy n’est guère plus rassurante. La revendication de crédibilité affichée par Manuel Valls, François Rebsamen et Ségolène Royal fait craindre un irréversible glissement à droite.

Cette confusion dans deux dossiers essentiels ne pourra pas être entretenue très longtemps. On n’attendra pas pour être fixé un éventuel forum consacré à la lutte contre la délinquance, ou un programme élaboré en vue de la présidentielle. La place qu’occupera le parti socialiste dans les deux grandes manifestations des 4 et 7 novembre, contre la politique xénophobe du gouvernement, puis contre la réforme des retraites, délivrera déjà un message sur les véritables intentions de l’opposition. C’est surtout face à la seconde échéance que l’on attend le PS (il aura moins de difficultés à donner le change dans la première manifestation). Quelle sera sa détermination dans la mobilisation ? On scrutera à cet égard l’attitude de la CFDT, relais syndical du PS. Va-t-on, de ce côté-là, résister à la tentation de se satisfaire de quelques miettes concédées par le gouvernement sur la question de la pénibilité ? Ou bien va-t-on faire réellement barrage à un projet qui doit être rejeté en totalité ? Et, dans cette seconde hypothèse, quel cadre va-t-on offrir à la mobilisation au-delà d’une première journée, le 7 septembre, qui s’annonce musclée ?

Certains me reprocheront peut-être d’entretenir des illusions sur le PS. Que peut faire de positif un parti qui n’exclut pas d’avoir pour candidat à la présidentielle de 2012 le directeur du Fonds monétaire international ? Mais, en politique, les choses ne sont jamais aussi simples. La profondeur de la crise de la droite, le mécontentement de l’opinion publique, la mobilisation de la société civile, la petite musique de l’autre gauche, dont les réponses à la crise économique et sociale apparaissent de moins en moins marginales, tout cela peut peser sur le cours des événements. Après 1934, il y eut 1936. Et on sait que les acquis sociaux qui ont été codifiés par le gouvernement de Front populaire en juin ont été arrachés en mai par une puissante grève générale.

Retrouvez l’édito en vidéo.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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