« Donner du sens aux apprentissages »

Initiateur du « Pacte pour une société éducatrice décentralisée », Raymond Millot explique l’enjeu de cette initiative qui s’inscrit dans le débat lancé par l’Appel de Bobigny*.

Ingrid Merckx  • 28 octobre 2010 abonné·es

Politis : Qu’est-ce que ce « Pacte pour une société éducatrice décentralisée » ?

Raymond Millot : Ce pacte s’adresse aux associations et aux partis désireux de transformer le système éducatif. Nous proposons d’ancrer les apprentissages dans le réel pour leur donner du sens et de l’intérêt, et pour développer des savoirs et des compétences permettant de faire face à un avenir difficile. Nous estimons, par exemple, que, dans telle école de L’Île-Saint-Denis équipée de panneaux solaires et d’appareils ­permettant de mesurer les économies d’énergie, recevant des repas bios et végétariens, les maîtres et les enfants pourraient s’interroger sur le pourquoi et le comment de ces mesures et en exploiter toutes les ressources pédagogiques. Pour que cette pratique leur paraisse possible et satisfaisante, il faut que, dans l’école voisine, une équipe de volontaires engage, avec le soutien de la municipalité et des parents, une « recherche-action » qui en fasse la démonstration concrète. C’est la démarche réaliste que nous proposons pour venir à bout des pesanteurs auxquelles se heurtent toutes les réformes.

Que signifie « décentralisée » ?

Les réalités à partir desquelles on cherchera à atteindre les objectifs fondamentaux varieront selon les territoires, on pourra s’intéresser à une Amap, une société coopérative innovante, des jardins partagés, des logements collectifs « passifs », un port de pêche en difficulté, un incinérateur de déchets polluant, des composts collectifs, une usine en cours de délocalisation… L’équipe suivant et évaluant le projet de recherche sera, elle aussi, diverse selon qu’il existe ou non une forte volonté municipale ou départementale, des parents d’élèves actifs, un mouvement d’éducation populaire, une université intéressée.

Qui est à l’origine de ce Pacte ?

Des enseignants anciennement ou toujours militants du Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN), de l’Association française pour la lecture (AFL), du mouvement Freinet ou de l’éducation populaire (Peuple et Culture, Francas), des parents de la FCPE, des chercheurs de l’INRP, des bibliothécaires, des psychologues… Certains avaient déjà animé une association pour le Développement d’écoles, de collèges, de lycées d’initiative citoyenne (Déclic) du temps du Conseil national de la recherche et de l’innovation. Pour ma part, j’ai joué un rôle actif dans les écoles expérimentales du XXe dès 1961, et dans l’élaboration et la conduite du projet d’école ouverte de La Villeneuve, à Grenoble, à partir de 1970, en lien avec la recherche pédagogique. Nous avons donc une longue expérience de l’innovation et des blocages qu’elle rencontre, ce qui nous a conduits à considérer que les expériences isolées ne sont pas efficaces et qu’il faut multiplier, diversifier, décentraliser, ce que nous nommons « recherche-action ». Nous avons la satisfaction de voir notre Pacte signé par des philosophes (I. Stengers, P. Viveret), des chercheurs (J. Foucambert, P. Meirieu), un scientifique et un sociologue de renom (H. Montagner, L. Mucchielli) aussi bien que par les responsables de la Fédération des établissements scolaires publics innovants (Fespi) (P. Goémé, P. Bergeron) ou un militant « résistant » connu (A. Refalo).

Quel lien avec l’Appel de Bobigny ?

Nous apportons à cet appel, qui devrait avoir un grand retentissement, deux contributions importantes : en précisant la place des enfants (l’implication dont j’ai parlé et qui les rend acteurs du changement) et en proposant une démarche « réaliste » qui consiste à expérimenter sur une grande échelle avec des enseignants et des pouvoirs locaux volontaires. L’historien de l’éducation Claude Lelièvre, qui considère que cet appel constitue une révolution, vient d’ailleurs de m’écrire (blog Mediapart) : « Merci, vraiment, d’engager le débat et de façon circonstanciée. » Notre futur site, pacte-educatif.fr, rendra publique notre participation au débat souhaité.

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