La Roche-sur-Yon, festival exemplaire

Dans le maquis des rencontres organisées autour du cinéma, le festival international du film de la Roche-sur-Yon (14-19 octobre) tire incontestablement son épingle du jeu. Membre du jury de la presse, nous l’avons vécu en partie de l’intérieur.

Christophe Kantcheff  • 22 octobre 2010 abonné·es
La Roche-sur-Yon, festival exemplaire
© Photo : Monte Hellman et Abel Ferrara / Philippe Cossais

Une programmation et des invités prestigieux, une forte présence du public, notamment des jeunes spectateurs, et des choix artistiques forts et assumés : réunir ces trois données, qui apparaissent trop souvent contradictoires, voilà la grande réussite du festival de la Roche-sur-Yon.

Venu présenter quatre de ses films restés inédits en France (trois documentaires et le fameux Go Go Tales ), Abel Ferrara fut à l’image du festival. Traînant avec lui une réputation sulfureuse, il fut à la Roche-sur-Yon d’une affabilité sans faille, réjoui de pouvoir échanger sur le cinéma et sur ses films, et même attentif aux manifestations contre la réforme des retraites qui se sont déroulées dans la ville, faisant preuve d’un sens politique original mais efficace : « La France n’est pas mon pays, mais je suis pour la grève. Lorsqu’on se retrouve vieux et seul, se faire en plus piquer son argent par l’État, c’est pas cool » .

L’intelligence de la foisonnante programmation a consisté à proposer, d’une part, une majorité de films pour la plupart déjà très reconnus (l’intégrale Monte Hellman, qui par ailleurs était président du jury « professionnel », un inédit d’Ingmar Bergman, En présence d’un clown , qui fut présenté par Jean Narboni, des films de Jacques Rozier, venu en voisin, des classiques américains ou français…) ou des œuvres plus récemment distinguées (Mathieu Amalric en invité d’honneur et auteur d’une carte blanche enthousiasmante, ou l’intégrale Kathryn Bigelow, récemment oscarisée pour Démineurs ).
Et d’autre part, une compétition internationale de huit films, signés par des jeunes cinéastes tous en recherche d’une voix singulière. C’est dans la bouche d’un des spectateurs de la Roche-sur-Yon que j’ai entendu le meilleur résumé de l’effet qu’a produit cette sélection, due au critique Emmanuel Burdeau : « Au début, j’ai été un peu perdu. Puis j’ai commencé à aimer d’être ainsi désorienté. Au terme du festival, je suis heureux de l’expérience de spectateur qui m’a été donnée de vivre. »

Le jury « professionnel », présidé par Monte Hellman, et qui rassemblait les cinéastes Laurence Ferreira-Barbosa, Pietro Marcello, la vidéaste Noëlle Pujol, la comédienne Nathalie Richard et le critique et réalisateur André S. Labarthe, a décerné son prix à Putty Hill , de l’Américain Matt Porterfield. Putty Hill est un film âpre et sensible, entre documentaire et fiction, qui dévoile des pans de la réalité américaine vécue par des post-ados de Baltimore en plein déclassement social. Ce jury a également décerné une mention spéciale au Braqueur , de l’Allemand Benjamin Heisenberg, qui a également remporté le prix du public. Le Braqueur sort sur les écrans le 10 novembre.

Quant au lauréat du jury de la presse – auquel j’ai participé avec Isabelle Regnier du Monde (voir son blog, qui rend compte de façon très enlevée de ces quelques jours vendéens), Yves Aumont de Ouest-France et Eric Loret de Libération  –, il s’agit de Cefalopodo , du Mexicain Ruben Imaz Castro, dont nous avons décliné les qualités dans le texte qui suit, lu lors de la cérémonie de clôture, qui souligne aussi toute la place accordée par le festival de la Roche-sur-Yon à la critique et au débat sur les films, ce qui n’est pas sans signification politique, au sens le moins étroit du mot.


*A l’heure où la critique souffre d’une mauvaise réputation et où elle tend à disparaître dans les journaux, il n’est pas indifférent qu’un festival en pleine renaissance fasse appel à un critique pour sélectionner sa compétition internationale, invite plusieurs critiques pour des rencontres et des débats, et constitue un jury de la presse. Ce n’est pas indifférent et c’est une bonne nouvelle, non pas tant pour la corporation des critiques, que pour les cinéastes et leurs œuvres, qui trouvent ici un accompagnement fort, et surtout pour les spectateurs. Car la critique a pour vocation d’offrir des propositions de lecture des œuvres, auxquelles le spectateur peut confronter sa propre vision, ses propres impressions, l’ensemble participant au débat public sur les œuvres alors que le discours promotionnel ne fait que renvoyer les spectateurs à leur solitude de consommateurs et à la seule alternative du j’aime/j’aime pas.

C’est aussi le mot de propositions que nous utiliserons pour qualifier l’ensemble de la compétition internationale, que l’on doit à Emmanuel Burdeau. Nous avons eu affaire à de vraies propositions de cinéma. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu’au lieu d’avoir en face de nous un cinéma établi, sûr de lui et de ses effets, rassurant et confortable, nous avons eu des films aventureux, riches en tentatives esthétiques, qui ont pu parfois dérouter parce qu’ils ne rentrent effectivement pas dans les clous et qu’ils témoignent de personnalités singulières. Nous avons été particulièrement sensibles à la diversité esthétique et géographique de cette sélection, où nous avons vu des promesses et des accomplissements. Bref, nous avons eu affaire à du cinéma vivant.

Mais il a fallu choisir, et le choix que nous avons fait est le fruit d’un investissement critique au sens fort. Nous avons eu des débats nourris et les arguments en faveur de certains films ont été nombreux. Putty Hill , de Matt Porterfield, notamment, Winter Vacation , de Li Hongqi, Cold Weather , de Aaron Katz, ont suscité des échanges vifs et enthousiastes. Mais au bout de nos débats, c’est à Cefalopodo , de Ruben Imaz Castro, que nous avons décerné le prix de la presse.

Cefalopodo nous a touchés, c’est bien le terme, pour la manière délicate dont l’auteur a su, avec une remarquable économie de moyens, raconter une histoire de deuil toute simple. Nous avons apprécié la manière, discrète mais audacieuse, qu’il a eue de s’aventurer dans des chemins de traverse. De conjuguer un romantisme juvénile avec un parti pris proche du documentaire, de risquer, avec une modestie charmante, à des changements de régimes de récit, d’image. Une cohérence se dessine entre le motif du film, ce drôle de mollusque qui lui donne son titre, et sa dynamique interne: le parachutage d’un jeune basque en plein cœur de Mexico, la collusion entre un drame intime et une société en mouvement, une vidéo-conversation transatlantique via Internet, pour s’en tenir à ces exemples, impriment au film une dynamique de contraction/ dilatation qui renvoie très exactement au mouvement du calamar.

A l’image de son personnage, ce jeune homme brisé qu’il débarque en terre inconnue, à l’autre bout du monde, Ruben Imaz Castro donne l’impression de vouloir, sans faire de tapage, larguer les amarres. Y compris dans ses maladresses, la fraîcheur de sa démarche nous a semblé pleine de promesses.

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