« Le marché déstructure l’école »

Membres du Parti de gauche, François Cocq et Francis Daspe* expliquent en quoi la réforme de la mastérisation est un condensé de l’offensive dominante libérale.

Politis  • 28 octobre 2010 abonné·es

Une rentrée en souffrance et périlleuse pour profs et élèves ! Voilà ce que relatent les nombreux témoignages des nouveaux enseignants qui ont pris leur poste au 1er septembre. La faute à la « mastérisation », nouvelle modalité de recrutement et de formation pour le secondaire, tracée par les décrets du 28 juillet 2009 et la circulaire du 20 août. Au-delà des conséquences désastreuses vécues au quotidien dans les classes, la « mastérisation » offre un parfait condensé de l’offensive libérale à l’œuvre dans le secteur de l’Éducation. Et ce en plusieurs domaines.

D’abord en termes d’économies budgétaires. Le néoprofesseur doit ­désormais assumer sans formation un temps quasiment complet variant autour d’une moyenne de 15 heures selon les académies. Cela permet au gouvernement de supprimer l’équivalent d’environ 8 000 postes. Dans le même temps, les stagiaires de première année préparant le concours ont vocation à se substituer aux professeurs titulaires remplaçants pour permettre de nouvelles économies de postes, conformément aux injonctions de la révision générale des politiques publiques.

En termes d’attaque contre les statuts des personnels ensuite, par l’organisation d’une précarisation ­institutionnalisée. La baisse du ­nombre de postes offerts aux concours alimente l’existence d’un nombre croissant de collés/reçus : collés au concours mais reçus au master. Se constitue de la sorte un vivier de non-fonctionnaires qui pourront être recrutés par les chefs d’établissements sur des statuts précaires, de vacataires ou de contractuels. On devine aisément la pression qui pourra alors s’exercer sur les enseignants titulaires par une mise en concurrence avec des non-titulaires corvéables et fragilisés, afin de leur faire accepter des régressions dont ils étaient jusqu’à présent à l’abri de par leur statut.

Puis en termes de dévalorisation du concours. L’évolution de la nature des épreuves en témoigne sans conteste : un écrit réduit à une exigence racornie et un oral dominé par une épreuve ressemblant à un entretien d’embauche en vigueur dans le privé, aux antipodes du concours républicain anonyme et égalitaire. C’est aussi la négation de la valeur pérenne de la réussite à un concours, puisqu’un candidat lauréat du concours mais ayant échoué à l’obtention de la deuxième année de master perdra le bénéfice du concours s’il ne parvient pas à rétablir l’équilibre dans l’année qui suit.

En termes de marchandisation également. Après qu’a été organisée la pénurie en ce qui concerne le contenu de la formation, et alimentée la crainte des nouveaux professeurs en passe d’être jetés dans la fosse aux lions sans autre préavis, voilà que surgissent à brûle-pourpoint des stages de prise en main d’une classe, proposés par des entreprises privées, aux tarifs tout sauf modiques s’échelonnant de 600 à 800 euros la semaine !

Enfin, en termes de méthode. Elle consiste à orchestrer le dénigrement pour ensuite jeter le bébé avec l’eau du bain. Profitant des débats et critiques sur la formation jusqu’alors dispensée dans les instituts universitaires de formation des maîtres, on en vient à décréter leur quasi-destruction. Au contraire, et plus que jamais, l’existence d’une structure renforcée de formation correspond à un besoin impérieux.

À ceux qui sont enclins à croire que l’École est un domaine se situant en dehors des enjeux fondamentalement idéologiques et politiques, l’examen attentif de cette réforme de mastérisation apporte un démenti cinglant. Elle s’inscrit dans le cadre d’une attaque de l’idéologie dominante libérale visant à déstructurer l’École comme institution majeure de la République, et donc à abattre l’un des ultimes remparts contre la toute-puissance du Marché.

Sans chercher beaucoup plus loin, apparaissent même des incidences sur le dossier des retraites. En retardant le moment où l’étudiant devient fonctionnaire stagiaire rémunéré, en diminuant la masse globale des cotisations par une baisse drastique de l’emploi public ou le recours à des précaires sous-payés, on fragilise d’autant plus le système par répartition pour ouvrir la voie à l’introduction d’une part croissante de mécanismes de capitalisation. Décidément, tout se tient dans une stratégie visiblement cohérente. Alors, l’École, une question en aucun cas idéologique ? Imposture !

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