Le photographe et la femme tondue

Gilles Costaz  • 14 octobre 2010 abonné·es

Mondialement célèbre pour le commissaire Wallander de ses romans policiers, et aussi pour son militantisme qui le mena jusqu’à faire partie du Mavi Marmara , le bateau pour Gaza férocement abordé par les Israéliens le 31 mai dernier, Henning Mankell est aussi un auteur de théâtre et un metteur en scène. Il travaille à la fois dans son pays natal, la Suède, et dans son pays d’adoption, le Mozambique. Dommage que ses pièces ne nous convainquent pas complètement ! En 2002, Jean-Pierre Vincent avait monté Antilopes , dont l’écriture et la construction très classiques n’avaient pas enthousiasmé le public français. À présent, Daniel Benoin monte à Nice une œuvre qui nous touche davantage, parce qu’elle se passe précisément en France.
Des jours et des nuits à Chartres part de la fameuse photo que Robert Capa fit fin 1944 à Chartres : on y voit une femme tondue portant son bébé, et regardée avec mépris et méchanceté par une foule nombreuse.

Mankell, touché par ce document, est venu à Chartres pour tenter de réunir des informations sur cette femme. En vain. Il n’a pas trouvé les bons témoins et historiens. Il a donc interprété les faits de lui-même et laissé parler son imagination généreuse. Car il aime cette Simone réprouvée par son entourage et par les vainqueurs. La pièce est double : c’est à la fois un texte sur Capa et la photo­graphie, et une œuvre sur un événement comme il peut se produire au cours d’une guerre et après la guerre. La pièce alterne trois temps : la vie d’après-guerre quand la jeune femme a été tondue et emprisonnée, les moments qui se passent pendant la guerre et arrivent en flash-backs, le temps imaginaire pendant lequel Capa théorise son art de la même ­façon qu’il fait surgir des images dans la chambre noire.

C’est un peu écrit à la hache, avec une réflexion appuyée sur les bons et les méchants. Mais la mise en scène de Daniel Benoin fait oublier la mise en place didactique par un grand mouvement plastique qui modifie le champ visuel à la manière d’un obturateur. Les acteurs séduisent par une même mobilité : Olivier Sitruk passe sans cesse du rôle de Capa à celui du soldat allemand, Fanny Valette est d’une minute à l’autre la jolie femme et la femme tondue. Avec les autres interprètes, Juliette Roudet, Paul Chariéras, Bastien Bouillon notamment, la force du décor très changeant de Jean-Pierre Laporte et les costumes de Nathalie Bérard-­Benoin, tout est livré dans la vigueur et l’obsession juste des horreurs de l’Histoire.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes