Noir vendredi pour Jeudi noir

Christine Tréguier  • 28 octobre 2010 abonné·es

Vendredi 22 octobre fut un triste jour pour le collectif Jeudi noir, installé depuis novembre 2009 dans un immeuble bourgeois
de la place des Vosges. Ils étaient trente-deux précaires, étudiants, jeunes travailleurs pauvres à s’être regroupés pour trouver un toit
et dénoncer du même coup une difficulté qui constitue un véritable problème de société : celle du logement. Ce jour-là, la cour d’appel
de Paris a décidé de donner raison à la riche propriétaire des lieux en requérant leur expulsion et une amende de 100 000 euros pour occupation illicite de cet hôtel particulier à l’abandon depuis 1965. Expulsion immédiate, bien sûr, afin d’éviter que la trêve hivernale (qui court du 1er novembre au 15 avril) ne leur laisse un répit de quelques mois. Dehors, les squatteurs-profiteurs-non-respectueux de la propriété privée !

« Nous ne partirons pas » , annonçaient samedi les militants en colère, qui organisaient déjà la résistance en appelant à une journée de forum social puis, dimanche, à une nuit solidaire pour s’opposer à l’expulsion imminente. Las,
le préfet zélé a mis un point d’honneur à exécuter plus vite que son ombre. Samedi matin à 7 heures pétantes, les Jeudi noir ont eu droit au grand jeu des béliers pour défoncer la porte et des gaz lacrymogènes. Ce qui était pour certains un rêve a tourné court. « La Marquise », comme l’appelaient ses habitants (parce que naquit en cette demeure la marquise de Sévigné), va pouvoir se rendormir, « le temps que les pigeons reprennent possession des salles aux poutres peintes et des planchers Versailles », ironise Nicolas, l’un des membres du collectif. Mais « la réponse brutale du gouvernement, l’expulsion, ne règle en rien la crise du logement » souligne sa colocataire Margaux.

Cette affaire va bien au-delà du cas des trente-cinq personnes qui occupaient la bâtisse de la place des Vosges. Elle est un symbole
de la crise du logement qui frappe l’armée des démunis,
des sans-droits et de tous ceux qui pourraient à leur tour glisser dans la précarité. Elle pointe quelques questions urgentes laissées
sans réponse : comment parvient-on aujourd’hui à se loger lorsqu’on est précaire, que les loyers – en particulier à Paris – deviennent exorbitants, gonflés par une bulle spéculative dont on sait qu’après
les États-Unis elle va toucher l’Europe ? Que faire face à un gouvernement qui, d’une main, fait voter des lois sur l’habitat décent (SRU) et le droit au logement pour tous, et de l’autre ne les applique pas, préférant laisser la voie libre aux propriétaires avides de rentes faciles et à la spéculation immobilière ? Que faire lorsque le froid hivernal arrive et que les propriétaires se hâtent d’expulser – a fortiori ces gêneurs de militants forcément extrémistes – avec l’amical soutien des juges et des préfets ?

Pour Jeudi noir, ce n’est qu’une bataille perdue. Sa réponse contient sans aucun doute une part de la solution : « La crise du logement est une guerre que nous n’avons pas le droit de perdre. Ce ne sont pas les adresses de bâtiment vides qui manquent, 10 % des logements sont vides à Paris d’après l’Insee, sans compter les bureaux. » En attendant la suite, le collectif lance un appel à soutien pour régler les 100 000 euros de… préjudice.

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