« Que font les rennes après Noël ? », d’Olivia Rosenthal : Plus bête la vie

Dans « Que font les rennes après Noël ? », Olivia Rosenthal tisse des liens surprenants entre les animaux et les hommes.

Christophe Kantcheff  • 28 octobre 2010 abonné·es

Le livre aurait pu s’appeler « les Animaux et nous », mais cela aurait fait un moins bon titre que celui qui s’étale sur la couverture, Que font les rennes après Noël ? Le « nous » aurait été aussi un peu abusif. Car il s’agit d’un « vous » dans le texte. Mais ce « vous » est une figure rhétorique qui désigne en réalité « je ». Phrase d’ouverture : « Vous ne savez pas si vous aimez les animaux mais vous en voulez absolument un, vous voulez une bête. » La figure rhétorique est précieuse. Car si c’est bien la petite Olivia Rosenthal qui veut une bête – le livre commence avec elle en bas âge –, la généralisation de la situation à d’autres enfants n’est pas difficile. Et, finalement, la forte dose autobiographique de cette fiction n’efface pas sa portée universelle.

Donc, ce serait plutôt : « les Animaux et nous (et Olivia Rosenthal en particulier) ». Mais d’emblée, une crainte. La mise en parallèle des hommes et des bêtes que l’auteure opère de bout en bout échappe-t-elle à l’anthropomorphisme ? Réponse : totalement. Pour être juste, il faudrait même inventer le néologisme qui désignerait le contraire. « Animamorphisme ». Non qu’Olivia Rosenthal se fonde, par exemple, sur les travaux du biologiste Henri Laborit, comme l’avait fait Alain Resnais dans Mon oncle d’Amérique , pour saisir les comportements humains. Mais c’est bien dans ce sens-là qu’elle établit des analogies. Plus précisément, elle esquisse les ressemblances entre la vie des animaux lorsqu’ils sont aux mains des hommes et ce qu’elle a « subi » dans sa jeunesse, au sein de sa famille ou, sortant juste de celle-ci, pendant ses années de mariage. Ce sont rarement les animaux domestiques, parfois ceux de la ferme (le cochon, la vache), le plus souvent les primates et les bêtes sauvages.

Ainsi le livre avance selon deux pistes qui s’entrecroisent sans systématisme, mais de façon souple, avec des clins d’œil, des correspondances poétiques et surtout beaucoup d’humour. Ici, ce sont par exemple des considérations sur l’organisation des loups en meute, ou le témoignage d’un soigneur de zoo sur « l’imprégnation » des animaux sauvages, c’est-à-dire le fait de les habituer à la présence humaine au point de ne plus supporter celle de leurs congénères. Là, c’est une révolte intime qui commence à poindre chez l’enfant, en même temps qu’une inclination à la passivité comme mode de résistance intérieure à l’autorité parentale. Les résonances fonctionnent parce qu’elles ne sont pas assénées.

Sous ses dehors distanciés, parfois provocateurs, Que font les rennes après Noël ? , tout en faisant souvent sourire, aborde des thèmes qui sont au cœur de la relation à l’animal autant que dans l’esprit d’une jeune fille qui se cherche et aspire à l’indépendance : la sexualité, la mort, l’enfermement, la domination, l’aliénation. Olivia Rosenthal puise aussi dans ses souvenirs de jeune spectatrice qui s’est identifiée aux personnages principaux de films appropriés : le King Kong des années 1930 et la Féline de Jacques Tourneur. De ce dernier en particulier, l’auteure offre une lecture d’une pertinence sidérante, où la dimension homosexuelle est centrale.

Il y a quelque chose du roman d’un apprentissage qui n’aurait d’autre aboutissement que la liberté. Pour les hommes, comme pour nos amies les bêtes. C’est dire si Que font les rennes après Noël ? est réjouissant. Il est cependant l’œuvre d’une écrivaine, déjà auteure en 2004 d’une pièce de théâtre intitulée les Félins m’aiment bien , qui se garde bien des illusions. Ainsi écrit-elle en passant : « Le monde est un tissu de mots, nous sommes tout entiers protégés et maintenus en vie par les moyens à la fois coercitifs et maternels du texte. »

Culture
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