Trop d’éclairage nuit

Gaspillage électrique, faune et rythmes biologiques perturbés, ciels de nuit dégradés… Mieux identifiées, les nuisances de la pollution lumineuse commencent à être combattues par les communes.

Patrick Piro  • 28 octobre 2010 abonné·es
Trop d’éclairage nuit

À Noyal-Châtillon-sur-Seiche, c’était pleine lumière dans les rues toute la nuit jusqu’en 2009. « Une demande de la population, il y a quelques années, en réaction à des actes de vandalisme nocturne, » explique Yoan Méry, adjoint au développement durable et à la démocratie de proximité de cette petite ville de 6 000 habitants (Ille-et-Vilaine). Issue de la gauche citoyenne et écologiste, la nouvelle municipalité installée en 2008 s’interroge et participe au premier « Jour de la nuit », organisé le 24 octobre 2009. La ville fait le noir et s’étonne de l’imposant halo lumineux de la ville de Rennes, proche. Noyal-Châtillon-sur-Seiche décide alors d’éteindre tous les éclairages nocturnes de 23 h 30 à 6 heures – une demi-heure après le dernier bus et avant le premier de la journée. À la veille de la deuxième édition du Jour de la nuit (le 30 octobre, voir encadré), la partie semble gagnée : « Les habitants ont totalement adhéré , indique Yoan Méry. C’est une surprise. » En particulier, aucune récrimination pour défaut de sécurité, ce que corrobore la gendarmerie, qui signale n’être pas intervenue plus fréquemment dans la commune depuis un an.

La lutte contre l’insécurité est en effet l’argument principal des pro-éclairage, dont l’Association française de l’éclairage (AFE), syndicat des professionnels du secteur, qui défend notamment une illumination homogène et suffisamment puissante des routes. Plusieurs études (en Angleterre, en Belgique, aux Pays-Bas, etc.) montrent pourtant que le taux d’accidents n’est pas corrélé à la présence ou à l’intensité de l’illumination. On constate même une diminution sur des tronçons éteints, comme l’autoroute A15 (nord de l’Île-de-France), où ont été volés, en 2008, pour plusieurs centaines de milliers d’euros de câbles électriques. « Résultat : un tiers d’accidents en moins, » rapporte Paul Blu, président de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes (Anpcen). Car l’éclairage favoriserait une baisse de la vigilance ainsi qu’une vitesse excessive. Depuis 2007, la plupart des autoroutes belges sont éteintes après minuit pour des raisons économiques, et sans inconvénient notable.

La question est plus délicate en zone urbaine, où c’est le sentiment de sécurité des piétons qui est en jeu. « Mais, là encore, nous sommes confrontés à des idées reçues, » rétorque Paul Blu. Ainsi, la plupart des agressions et cambriolages ont lieu en plein jour. « Les malfaiteurs sont les premiers à apprécier l’éclairage pour opérer ! De même, le tapage nocturne ou les dégradations se produisent à la lumière des lampadaires, pas dans le noir. »

Des dizaines de communes françaises s’en sont convaincues, en milieu rural surtout. « La nuit, personne ne circule à pied, l’éclairage des rues est une dépense superflue , convient Michel Maya, maire de Tramayes (1 000 habitants, Sâone-et-Loire). Et puis nous avons pris conscience des perturbations affectant les oiseaux et les insectes. » Depuis 2008, la commune est éteinte de minuit à 5 heures, et elle s’est équipée d’un système de gestion fine de l’éclairage des huit rues du bourg. Les administrés sont « ravis ». Tout juste a-t-il été concédé le maintien de l’éclairage nocturne du terrain de pétanque. Les économies sont telles que l’investissement de la commune (aidé par une subvention) a été amorti en moins d’un an.

Certes, l’éclairage n’absorbe que 1,5 % environ de la production électrique française (l’équivalent d’un réacteur nucléaire), en proportion stable, relève l’AFE. Mais comme la population et l’urbanisme s’accroissent, le nombre de points lumineux a bondi de 31 % en dix ans, souligne l’Anpcen : « En moyenne, l’éclairage nocturne représente près de la moitié de la facture d’électricité des communes. »

Tramayes a été récompensée en 2009 par Électricité réseau distribution France (ERDF, filiale d’EDF) pour son action, qui participe à alléger le réseau électrique. Un revirement ­récent, note le maire : « EDF nous poussait jusque-là à la consommation d’éclairage public par des tarifs préférentiels. »
Boigneville (400 habitants, Essonne) a résisté à ces sirènes. Il faut dire qu’il n’y a jamais eu d’éclairage entre 23 h 30 et 5 heures « Certains habitants la réclament, mais nous n’avons jamais connu de problèmes de sécurité , affirme le maire, Jean-Jacques Boussaingault. Ce qui ne nous empêche pas de mettre l’église en valeur. » Il est d’ailleurs prévu de substituer des leds intérieures aux gros spots extérieurs, très énergétivores.

C’est qu’il existerait un tropisme français en matière d’éclairage de prestige. « Ces dernières années, les éclairagistes ont convaincu de nombreux élus d’illuminer monuments et façades, ce qui flatte les communes, » explique Paul Blu, qui énonce une liste d’absurdités : éclairages surpuissants, lampes orientées vers le ciel, éblouissements fréquents, etc. En 1989, Lyon a lancé un « plan lumière » pour mettre en valeur le patrimoine de la ville et développer l’activité nocturne. En quinze ans, la consommation d’éclairage public est passée de 35 à plus de 40 millions de kilowattheures (kWh) ! Mais, en 2004, l’objectif du deuxième plan est radicalement orienté vers la baisse des consommations, « déjà ramenées en 2010 à un niveau proche de celui de 1989, en dépit d’une augmentation annuelle d’un millier de points lumineux due à l’expansion de la ville » , indique Jacques Fournier, responsable du bureau d’étude éclairage public de la ville.

Mais la question de la sécurité des piétons est beaucoup plus délicate en zone urbaine qu’en milieu rural : pas question d’aller jusqu’au « black-out », il faut gagner partout en efficacité. Lyon se débarrasse ainsi peu à peu de lampes gaspilleuses et de luminaires arrosant le ciel, adopte les leds pour le décoratif, réduit ou élimine l’éclairage de voies secondaires, etc. « La réduction de l’intensité lumineuse est désormais bien mieux acceptée par la population, on nous demande même d’en faire plus. » Les lois « Grenelle de l’environnement » imposent d’ailleurs une modération de l’éclairage nocturne. En France, celui-ci consomme 87 kWh par habitant et par an, deux fois plus qu’en Allemagne, où les intensités lumineuses sont notamment plus faibles.

Lille, avec 63 kWh par habitant et par an, est à la pointe des grandes villes françaises. En 2004, un contrat d’objectif a été passé avec l’entreprise ETDE pour parvenir à 42 % de baisse des consommations en 2012. Grâce aux investissements, les postes « maintenance » et « énergie » sont déjà tombés de 30 à 20 % du total des dépenses d’éclairage. « Et la moitié de notre fourniture d’électricité est d’origine renouvelable , ajoute Philippe Tostain, conseiller municipal à l’énergie et à l’éclairage public. Nous comptons même investir dans la construction d’éoliennes, par exemple. » Grâce aux 15 millions d’euros de gains générés sur le parc d’éclairage, modernisé et bien plus sobre. Aux économies d’énergie s’articule la préservation de la biodiversité urbaine : le parc de la Citadelle est dans l’obscurité à partir de 22 heures, et c’est une « trame noire » d’espaces naturels qui sera bientôt préservée de la lumière nocturne à Lille.

Écologie
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