Brescia : la justice vole en éclats

Les anciens militants fascistes accusés d’un attentat meurtrier en 1974 ont été acquittés pour « insuffisance de preuves ». Un verdict qui provoque une forte indignation dans le pays.

Monica Lanzoni  • 25 novembre 2010 abonné·es
Brescia : la justice vole en éclats

C’était le 28 mai 1974 : une manifestation contre la violence fasciste est organisée piazza della Loggia, à Brescia, par plusieurs syndicats. Une bombe placée dans une poubelle explose, tuant huit personnes, en blessant une centaine d’autres. Cinq ans auparavant, le 12 décembre 1969, un attentat sur la piazza Fontana, à Milan, avait marqué le début de la stratégie de la tension, visant à créer un climat de déstabilisation politique et sociale dans l’Italie des années 1960 et 1970, pour justifier une demande de régime autoritaire.

Après trente-six ans d’enquêtes et trois procès, les responsables de l’attentat de Brescia, c’est-à-dire d’anciens militants de l’organisation fasciste Ordine Nuovo (Delfo Zorzi, Carlo Maria Maggi et Pino Rauti), le collaborateur des services secrets italiens Maurizio Tremonte, et le général des carabiniers Francesco Delfino, ont été acquittés. L’Italie assiste incrédule à cette absolution des carnages accomplis par l’extrême droite, impliquant certains éléments des services secrets italiens, parfois en lien avec la CIA.

Les « carnages d’État » restent ainsi sans coupables. Aujourd’hui celui de Brescia, hier celui de Piazza Fontana ou celui provoqué par l’explosion de la bombe dans le train « Italicus » Rome-Munich en 1974 (12 victimes). Pour l’attentat à la gare de Bologne, qui fut le plus meurtrier (le 2 août 1980, 85 victimes, plus de 300 blessés), deux militants des NAR (Nuclei Armati Rivoluzionari, groupe armé d’extrême droite), Valerio Fioravanti et Francesca Mambro, ont été condamnés en 1995 comme exécuteurs matériels. Les mandataires politiques n’ont jamais été jugés.

Si la justice italienne fait ici défaut, elle n’a pourtant pas épargné les militants des groupes armés d’extrême gauche (Brigate Rosse et Prima Linea, entre autres). En effet, quatre mille personnes ont été condamnées pour « subversion et bande armée » entre 1969 et 1989, et ont effectué des dizaines d’années de prison.

Pour les attentats fascistes, il n’existe donc pas de vérité judiciaire. La bombe de Brescia se solde par une « insuffisance de preuves » . Des preuves dissimulées, disparues, depuis presque quarante ans. Ainsi, deux heures après l’attentat, la place était inexplicablement nettoyée par les pompiers, empêchant toute investigation judiciaire. Et Delfo Zorzi, un des principaux responsables de l’extrême droite fasciste transalpine, déjà accusé de l’attentat contre la Questure de Milan (en 1973), qui vit au Japon depuis des années, peut maintenant rentrer en Italie, le mandat d’arrêt contre lui ayant été annulé.

« La recherche de la vérité a été humiliée » , s’est exclamé Paolo Bolognesi, responsable de l’Union des familles des victimes des attentats. De son côté, le président de l’Association des familles de la piazza della Loggia, Manilo Manili, a dénoncé un manque de volonté de faire face aux années de terrorisme. Justice et vérité : deux éléments qui manquent cruellement dans l’histoire italienne des années de plomb, et notamment aux centaines de morts et aux milliers de blessés.

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