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Entre l’adoption de la réforme des retraites au Sénat et le conflit social en cours, les journaux télévisés ont tous affiché le même credo : la démobilisation de l’info.

Jean-Claude Renard  • 4 novembre 2010 abonné·es

Mercredi 27 octobre : tandis que l’Assemblée vote la réforme, Jacques Legros, remplaçant Jean-Pierre Pernaut, en vacances, aux 13 heures de TF 1, ouvre sur les centenaires, « 15 fois plus nombreux en France d’ici à cinquante ans » . Au moment de l’allongement du temps de travail, ce n’est même plus un message subliminal. « Venons-en maintenant à la situation dans les stations services. Une sur 5 est toujours à sec, même si hier 5 raffineries sur 12 ont repris le travail. »

Reportage avec « un gasoil et du super en abondance ». Un automobiliste confie : « Pour travailler, c’est quand même important. Moi, j’ai besoin de mon véhicule ! » Mais le reportage prévient : « Huit raffineries sur 12 sont toujours partiellement ou totalement en grève » , contredisant ainsi le présentateur du JT. Legros reprend l’antenne : « En tout cas, cette pénurie de carburants, à la Toussaint, frappe beaucoup de commerçants, on l’a vu dans ce journal [aucunement alors, NDLR], et en particulier les producteurs de chrysanthèmes. » Le blocage des raffineries empêchant de fleurir les caveaux, la mère Michu n’y aurait pas pensé…

Sur France 2, à la même heure, Sophie Le Saint ouvre également sur la « génération papy-boom » . S’ensuit un reportage sur les obsèques de Georges Frèche, qui n’aura pas atteint l’âge canonique pourtant promis au plus grand nombre. Puis, en titre : « La loi pour finir » à lire comme « pour en finir avec les grèves » . Mais, précise Sophie Le Saint, « avant, le point sur les carburants : il devient plus facile de faire le plein, mais pas partout » . En témoigne un micro-trottoir exprimant le ras-le-bol des automobilistes, tandis que « sur le terrain le mouvement s’essouffle » . À la SNCF, « on est confiant, mais de moins en moins nombreux » .

Le droit de grève, juge un usager, « est une chose, mais faut pas emmerder les gens trop longtemps » . Sur le plateau, Agnès Molinier explique la réforme, « qui ne touchera pas les mères de trois enfants, ni les parents d’enfants lourdement handicapés ni ceux qui ont un taux d’incapacité d’au moins 20 %, comme un pouce en moins, ou l’impossibilité de lever les bras au-dessus des épaules [elle mime], c’est-à-dire une incapacité remarquable » . Elle en rigole. Une explication de la réforme, en effet « remarquable » . Après quoi, tombe la morosité des professionnels du tourisme, victimes de la grève.

Ce même mercredi, Harry Roselmack, aux 20 heures de TF 1, ouvre sur la relève des troupes françaises en Afghanistan. Avant d’en venir aux centenaires puis à la mortalité infantile. Et enfin à la réforme adoptée. « “La loi de la République doit être désormais acceptée par tous”, dit un communiqué de Matignon. » Et, reprend Roselmack, « j’ajoute que les députés ne se sont pas oubliés dans cette réforme puisque leurs présidents de groupe ont accepté de modifier leur régime de retraite, progressivement diminué de 8 % » . Quelques mots sur les perturbations du lendemain puis retour sur l’augmentation du prix des carburants, « à cause des blocages » . Et non « en raison » .

Sur France 2, au « 20 heures », Marie Drucker a choisi d’ouvrir sur les menaces de Ben Laden, avant de présenter la « réforme définitivement adoptée » , de lire le même communiqué de Matignon et d’ajouter que « le PS va saisir le Conseil constitutionnel. Bref, la logique est respectée. Récit d’une journée qui clôt une bataille politique de plusieurs mois » , avec Éric Woerth déclarant « qu’il ne sert plus à grand-chose de manifester. » En direct de l’Élysée, Michaël Darmon annonce « les derniers barouds d’honneur des syndicats » . Au reste, dans les raffineries, « les AG, les unes après les autres, votent la reprise du travail » . Circulez, disait l’autre, y a rien à voir !

Jeudi 28 octobre. À son « 13 heures », sur TF 1, Jacques Legros informe que « les principaux syndicats essayent de maintenir évidemment la mobilisation, même après l’adoption du texte » , avant un micro-trottoir sur les populations en rase campagne privées de déplacements, tout en soulignant, « je vous le rappelle, que la réforme a été définitivement adoptée hier » .

Au « 13 heures » de France 2, c’est une édition « présentée par des personnels non grévistes » . Au « 20 heures » de TF 1, Harry Roselmack commence par ces « vacances qui tournent court pour un groupe de touristes français impliqués dans un accident en Turquie » . Trois minutes sur l’essoufflement de la contestation avant de braquer les projecteurs sur le travail des policiers qui assurent « la sécurité des manifestations en toute discrétion » .

Vendredi 29 octobre, sur France 2, « le mouvement de contestation marque le pas » , mais « ces grèves auront réduit à néant les 9 bons premiers mois de la SNCF » . Sur TF 1, Jacques Legros commence par « la belle production des chrysanthèmes cette année » . Après quoi, le conflit social s’est réduit dans le week-end aux carburants, à la reprise du travail. Puis plus rien. La réforme a été adoptée définitivement qu’on vous dit.

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Retraites : la bataille de l'info
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